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SUR MON CHEMIN

savoir qui les tient là, debout et pressés les uns contre les autres, dans la même espérance ou dans le même effroi, dans la même ankylose.

Trois heures et demie, à l’horloge de la galerie de Harlay. Une sourde rumeur dans les groupes. Les deux vantaux de la porte de bronze s’entr’ouvrent, tournent sur leurs gonds avec lenteur. La grand’ chambre nous est ouverte. La Cour de Cassation, toutes chambres réunies, c’est-à-dire le tribunal suprême, celui au-dessus duquel il n’y a plus rien que l’anarchie, celui qui a été créé pour prononcer le dernier mot dans les conflits des hommes, celui dont on ne peut nier ni repousser l’arbitrage sans se mettre, par cela même, en dehors de l’état de société ; la Cour de cassation va juger l’Affaire. Trois heures et demie « de relevée », comme on dit au Palais, ce troisième jour du mois de juin de l’an dix-huit-cent-quatre-vingt-dix-neuf !… Cette minute qui datera dans l’histoire de la Justice, et que les écoliers futurs ne devront pas plus ignorer que la date de la bataille d’Actium ou celle du couronnement de Charlemagne, cette minute, la France entière, depuis le jour où il lui a été permis de douter, l’attend dans une prodigieuse anxiété, et celui qui gîte à l’île du Diable, depuis le supplice de la dégradation, l’espère dans un désespoir sans bornes.

Quand nous pénétrons dans la grand’chambre, l’immense salle est vide de magistrats. Mais nous avons à peine gagné nos places, que la voix