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SOUS LA TOGE

mènent comme de petits fols, trottinent au long des couloirs avec des allures rajeunies, des sourires de vieille qui veut encore plaire, des poignées de main qui sont comme l’échange rapide d’un geste convenu entre amants, des « bonjours » pleins de douceur et de caresse et des protestations soudaines, des déclarations d’amour pour les intérêts généraux de la Compagnie, au détriment des leurs qu’ils veulent oublier ; le tout accompagné de grands gestes où s’enveloppent les manches tournoyantes de la robe noire qui les fait ressembler à des Loïe Fuller en deuil.

C’est l’époque où les jeunes qui ont voix à l’élection sont abordés par leurs aînés qui voudraient la leur prendre et où ceux-ci commencent toujours par inviter à dîner ceux-là. C’est la période gastronomique au Palais. Il y a entre gens de robe un tel échange de politesses dînatoires, que ce serait bien le diable si tous les avocats qui le tirent par la queue, ceux qui attendent vainement la clientèle sous la grosse horloge, n’arrivaient pas à manger tous les jours. Aussi les pauvres bougres de la retape correctionnelle, les professionnels de la pièce de cent sous partagée avec le garde qui « allume », s’y emploient, ils ont plus de tenue, ce mois-là, que de coutume. On a besoin d’eux. On les invite. Ils donnent leur voix en échange du turbot sauce câpres et du caneton rouennaise, surtout si les pattes en ont été cuites au feu d’enfer.

Je parlais tout à l’heure du libéralisme des