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SUR MON CHEMIN

caresses formidables auxquelles l’habit à la française n’a jamais pu résister, il vous aura baisé sur la bouche. Oh ! les lèvres des moujiks ! Elles embrassent jusqu’à en mourir !

Et boire ! Il faut boire, ô vous qui êtes sobre ! Et boire encore ! On boit tant que l’ivresse en devient magnifique. Buvez au nom de la France, au nom de la Russie, au nom de l’alliance, au nom de l’armée, au nom de la marine. Buvez au nom du commerce, au nom de l’industrie, buvez pour votre pays et pour Félix Faure ! Buvez au nom de toutes les choses qui vous sont chères sous le soleil ! Buvez au nom du soleil ! Vous choquez les verres, vous les brisez, vous trempez vos lèvres aux coupes des amis et vous offrez vos lèvres à leurs lèvres ! Vous traversez une salle de restaurant : deux hommes, debout de chaque côté d’une table, se sont saisis par-dessus cette table et s’étreignent au dessert ; ils se rejoignent, tête contre tête, les mains serrant les têtes. C’est un officier russe et un enseigne de vaisseau français qui se jurent l’alliance jusqu’à la mort.

Et cela dans une atmosphère, grisante jusqu’à l’hystérie des larmes, de Marseillaises et d’hymnes nationaux. Bodjè tsara krani ! « Aux armes citoyens ! » Les Français appellent la gloire de l’empereur. Les Russes chantent le « sang impur dans les sillons ». On n’a pas fini d’« entrer dans la carrière » qu’on implore Dieu de sauver le tsar. Et l’on continue, et l’on recommence. Encore ! Encore ! Et les litanies des deux patries