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L’étude de Me Camousse était sans contredit la première de la ville. De père en fils, les Camousse avaient dressé les contrats de mariage et recueilli les testaments des gens les plus huppés de la région. D’une honorabilité en quelque sorte héréditaire, les Camousse avaient vu passer dans leur coffre-fort des fortunes considérables dont ils avaient été longtemps les fidèles dépositaires… Enfin on leur avait confié bien des secrets de famille et leur conscience avait été au moins aussi fidèle que leur coffre… Les Camousse étaient depuis plus d’un siècle les notaires des Lavardens…

Je viens pour l’affaire de Lavardensse !… déclara tout de suite le brigadier de gendarmerie en mettant son poing entre la porte et le chambranle dans le moment même que le petit clerc se disposait à fermer l’étude… C’était l’heure où il ne restait plus dans la première pièce que MM. les expéditionnaires, lesquels s’apprêtaient, tout travail suspendu, à déjeuner !…

— Tiens ! un nouveau brigadier !… fit le petit clerc en ouvrant la porte malgré les protestations du personnel…

Cependant quand ces messiers aperçurent un gendarme, ils firent silence, attendant les événements.

Petit drolle, dit le gendarme au petit clerc, va me chercher tone patrone !… et né té trène pas comme oune limasse !

Le clerc répondit que Me Camousse s’apprêtait à déjeuner, mais que le premier clerc ou le clerc liquidateur étaient encore là et que s’ils pouvaient faire l’affaire…

— Quès aco ? Jé né té demandé pas tant de chozzes ! Je veux voir Me Camousse en personne ! et plous vite qué ça, hé !

À ce moment, Me Camousse, un homme respectable, dans la quarantaine, de figure un peu sanguine, encadrée par des favoris poivre et sel, sortit de son cabinet, demanda des explications et fit entrer le gendarme chez lui.

— Je vous souis ennevoyé par M. lé jugé d’instructionne !…

— Le juge d’instruction ? répéta le notaire ahuri.

— Oui, M. Crousillat loui-même, qui a de l’ouvrage par-dessus la tête avec cette histoire de Lavardensse et qui m’a chargé de l’aider dans son enquête et dé vous posé quelques petites questionnes !…

— Je vous écoute, brigadier… Asseyez-vous, je vous prie.

— Voilà dé quoi il rétourne ! Jé viens pour l’affairé dé Lavardensse, hé !… M. le juge d’instructionne désirerait savoir à quelle datté M. de Lavardensse a contracté mariage… Vous pouvez me répondre, hein ? jé pensé… vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

— Monsieur, je n’ai rien à refuser à la justice de mon pays ; je me ferai même un devoir de l’aider dans la mesure de mes moyens, si je puis lui être utile en quelque chose et pourvu, naturellement, que l’on ne me demande pas de violer le secret professionnel…