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je vais reporter ce livre où je l’ai trouvé… Il brûle !… Il brûle !… Ah ! je ne tiens pas à être condamné à mort par les ancêtres, moi !…

Et Rouletabille parut s’envoler…

Ne sachant plus ce qu’il faisait, ni ce qu’il disait, M. le conservateur leva au plafond des bras désespérés et gémit :

— Au voleur !

Il lui semblait en effet qu’on venait de le voler lui-même ! Cette merveille aussitôt disparue qu’apparue lui bouleversait l’âme !… Il regrettait d’avoir laissé partir ce chef-d’œuvre, bien qu’il ne lui appartînt pas !… M. le bibliothécaire comprenait maintenant tous les crimes !…

Une heure plus tard, Rouletabille se retrouvait dans « lou Cabanou » sans avoir rencontré plus d’obstacles au retour qu’à l’aller… Il remit le Livre des ancêtres à l’endroit exact où il l’avait trouvé, après avoir pris soin de replacer le couteau coupe-papier poignard à la page indiquée par la fiche qu’il y avait mise et qu’il fit disparaître… Et quand il en fut débarrassé, il murmura, le front gonflé de sa pensée en ébullition :

— Oui, ce livre brûle… ce livre est la clef de tout !… c’est de lui que tout vient !… c’est par lui que tout arrive ! C’est vers lui que tendent tous les gestes et c’est autour de lui que tournaient sans le savoir Hubert, Jean, Odette, Callista, Olajaï, Rouletabille et même la Pieuvre !… Ce livre en sait long, plus long que nous tous ! Mais ce livre parlera !… C’est lui qui me dira si Hubert est complice de Callista !… Ce livre est un malheur et il nous a peut-être sauvés !…

Après ce petit monologue, Rouletabille se hissa hors du bureau par l’œil-de-bœuf ; de l’œil-de-bœuf, il se laissa glisser dans l’office… de l’office…

Cependant, dans le corridor, Pandore ronflait toujours…


IV. — L’enquête de Pandore

Pandore ne dut pas tarder à se réveiller, car quelques instants plus tard et non loin de là, dans la campagne, on aperçut cet honorable représentant de la maréchaussée questionnant un petit berger. On questionna le petit berger pour savoir ce que lui avait dit le gendarme. Le gendarme lui avait demandé s’il n’avait pas aperçu à la première heure du jour une bohémienne sortant de la forêt et se dirigeant vers un petit bosquet de tamaris qui bordait la route d’Arles à Lavardens. Le petit berger avait répondu :

— Je me trouvais moi-même sous les tamaris. La bohémienne y est venue et s’y est rencontrée avec un bohémien qui rôdait par là depuis quelques instants. Ils ont causé quelques minutes, puis la bohémienne est partie en disant : « À cet après-midi, trois heures, à la Roche-d’Ozoul ! »

Là-dessus le gendarme avait quitté le petit berger en disant :

Parfait ! ça tient toujours !

Sans doute Pandore faisait-il une enquête ordonnée par le juge d’instruction, car on le vit une demi-heure plus tard, à Arles, questionner encore des gens qui bavardaient sur le pas de leur porte. Enfin, sur le coup de midi, il se présenta à l’étude de Me Camousse, notaire.