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Sûr de n’être pas dérangé, Rouletabille se mit à fouiller les meubles avec la conscience qu’il mettait en toutes choses. Un petit bureau-secrétaire fut vidé de fond en comble de toutes les paperasses qu’il contenait et chacune d’elles soigneusement examinée. Le fait que la justice avait passé par là ne décourageait en rien notre reporter, bien au contraire. Il avait accoutumé de dire que le parquet ne manquait jamais de lui faciliter l’ouvrage en lui abandonnant régulièrement tout ce qui pouvait intéresser l’affaire en cours et en emportant le reste.

Cependant, ce matin-là, il ne trouvait rien qui concernât directement ou indirectement les événements qui avaient si tragiquement bouleversé tout ce coin de Camargue, et il se demandait s’il ne venait pas de perdre son temps, quand, parmi les quelques livres qui s’alignaient sur les meubles et les étagères, il avisa un énorme bouquin dont l’aspect vétuste le surprit.

Hubert n’avait rien d’un bibliophile. Sa bibliothèque se réduisait à fort peu de chose et les derniers romans d’aventures, les relations de voyage, quelques revues de sports en faisaient tous les frais. Ce vénérable ouvrage, dont la reliure paraissait du reste avoir beaucoup souffert des ravages du temps, était une anomalie dans ce cadre moderne, studio d’un art à la fois prétentieux et assez simple que l’on rencontre à de nombreux exemplaires chez les jeunes gens qui tiennent à vivre dans un décor à la mode.

… La seule originalité de l’appartement tenait dans quelques objets assez rares rapportés de lointains voyages, masques de bronze dont le rictus sauvage surprenait le visiteur non encore averti, dépouilles de fauves qui pouvaient faire croire à de grandes chasses et qui avaient peut-être été achetées dans quelque bazar…

Mais pourquoi ce livre chez Hubert ? Rouletabille ne manqua point de le lui demander (au livre) et il eut bientôt entre les mains quelque chose qui ressemblait à un antiphonaire et qui n’était pas un antiphonaire. Il l’entr’ouvrit et une sorte de couteau-poignard s’en échappa et roula sur le plancher. Rouletabille se baissa, ramassa l’objet et comprit que cette arme était moins une arme qu’un coupe-papier.

De fait, le reporter constata qu’une page avait été coupée, c’est-à-dire fort proprement détachée à l’endroit même où le livre s’était ouvert… La page manquait… Et d’abord quel était ce livre ? Les caractères en étaient étranges, se rapprochant de la typographie grecque, byzantine et même