Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux Saintes, mais je n’y étais pas plutôt arrivé qu’Olajaï me rejoignait dans un coin de rue et me faisait entendre à nouveau que la Camargue était très malsaine pour moi ! J’ai voulu avoir une explication. Il m’a quitté hâtivement en me disant :

» — J’ai déjà trop bavardé !

— Et tu es revenu ?

— Mon Dieu, oui ! d’autant que j’avais encore beaucoup à faire ici !…

— Et puis, reprit Jean avec une intention qui n’échappa point au reporter… tu n’avais pas trouvé là-bas celle que tu attendais !…

— Je vois que l’on t’a bien renseigné, répliqua Rouletabille le sourcil froncé…

— En tout cas, je sais une chose, fit Jean d’une voix sourde, c’est que pendant qu’Olajaï réussissait à te faire quitter les Saintes-Maries, il y restait, lui, avec la Pieuvre que tu étais venu voir et que tu n’as pas vue ! Mais je les ai vus, moi, tous les deux travaillant à l’on ne sait quelle besogne obscure qui ne doit être ni de ton goût ni du mien, puisqu’ils s’arrangent pour nous la cacher !…

— Ne crains rien, Jean ! dit Rouletabille de plus en plus sombre… Je te demande encore vingt-quatre heures et ce n’est ni Olajaï ni la Pieuvre qui m’empêcheront de sauver Odette !…

— Je rapporte de là-bas quelque chose qui pourrait nous servir, dit Jean en arrêtant le reporter, qui avait fait un mouvement pour le quitter… Si c’est Hubert qui a fait le coup, comme je le crois plus que jamais, il a certainement eu des complices, au moins un complice… Eh bien, je viens d’apprendre que « lou Rousso Fiamo », son âme damnée, est absent des Saintes depuis quarante-huit heures…

— Je le savais ! dit Rouletabille…

Et il s’éloigna rapidement de Jean, lui brûlant, comme on dit, la politesse… Santierne n’insista pas ; il se remit au volant et lança sa torpédo sur la route de Beaucaire… Il voulait savoir exactement à quoi s’en tenir sur cette absence de « lou Rousso Fiamo »…

Carnet de Rouletabille à cette date : « Olajaï : la Pieuvre… Jean pourrait bien avoir raison. Je ne me suis pas assez méfié de la Pieuvre. Elle ne peut plus me servir… Elle ne peut que me nuire… maintenant que je sais par elle que la police n’est pour rien dans mon cambriolage et après ce qui s’est passé aux Saintes-Maries, je devrais rompre entièrement avec elle. Ce n’est pas la première fois que l’idée m’en vient, mais je crois qu’il n’est que temps de la réaliser. En ce qui concerne Olajaï, il y a des moments où je suis sur le bord de son secret et puis, au moment où je crois le pénétrer, je retombe dans le noir. Les dangers qu’il m’annonce et dont, soi-disant, il veut me sauver, coïncident trop avec mon cambriolage à Paris pour qu’il n’y ait pas entre ceux-là et celui-ci un lien étroit. C’est ce lien qui m’échappe tout à fait. Qu’est-on venu faire chez moi ? Voilà le trou. Je suis sûr qu’Olajaï, d’un mot, pourrait le combler. Mais, dit-il, il a déjà trop bavardé !… et il me conseille de fuir, comme il me conseillait de ne pas quitter Lavardens. Tout cela se tient et cependant reste incompréhensible en ce qui me concerne. Une seule chose est certaine, c’est qu’il y a autour de moi quelque chose de très menaçant. Je suis surveillé, je le sens, à chaque pas que je fais à Lavardens et hors de Lavardens… et je n’échappe à cette surveillance occulte qu’avec les plus grandes difficultés et en déployant une astuce incroyable. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à relever la piste de Callista, depuis son arrivée aux Saintes-Maries, presque pas à pas, et je sais tout ce qu’elle a fait jusqu’au moment où elle disparaît non loin du « Viei Castou-Nou »…

» Descendue comme nous, mais vingt-quatre heures plus tôt, à Avignon, elle s’est fait conduire comme nous à Arles, en auto… Mais là, elle a quitté l’auto, a traversé