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puis, soudain, une pensée lui traversa l’esprit comme un éclair.

— Est-ce que cette dame n’a pas des cheveux coupés court sur le front ?

— Oui monsieur, c’est bien cela, cette fois…

Jean se rapprocha de l’aubergiste.

— Il devait y avoir une adresse sur la lettre ? fit-il.

Mais comme l’autre prenait un air discret, Jean lui dit tout de go :

— Cette lettre n’était-elle point adressée à Mme de Meyrens ?

Et l’aubergiste fit signe qu’il en était ainsi.

À la suite de quoi Jean sortit, l’esprit de plus en plus troublé.

« Il ne peut plus se passer de cette terrible femme ! se disait-il. Que peut-il en attendre dans un moment pareil ? Et comment songe-t-il à lui donner des rendez-vous s’il ne l’aime plus comme il le prétend ? »

Laissant ensuite cette affaire, il se mit à la recherche des guardians qui étaient l’ordinaire compagnie d’Hubert, car il avait son idée, mais comme il sortait de la grande clarté de la rue et qu’il se trouvait tout à coup dans la demi-obscurité de la dune, son attention fut tout de suite attirée par deux silhouettes qui passaient non loin de là et qui ne semblaient point lui être inconnues.

Un homme et une femme se glissaient le long des murs, puis traversaient soudain un espace désert rayé d’ombre et réapparaissaient dans la clarté dansante d’un feu qui brûlait devant une roulotte.

Tout le long de la grève il y avait beaucoup de ces feux qui formaient comme un demi-cercle autour des Saintes-Maries ; ils avaient été allumés par les tribus de bohémiens venus de Béziers et de Pézenas qui restaient aux Saintes plus longtemps que les autres, car en somme ces cigains étaient dans leur pays et n’avaient point grand chemin à faire pour retrouver les routes le long desquelles ils étaient accoutumés à vivre…

La plupart de ces sortes de bivouacs étaient déserts ; les jeunes étaient allés danser et le souper cuisait sous la surveillance de quelques vieilles à mine de sabbat…

Jean ne put retenir une sourde exclamation en reconnaissant dans les deux ombres qu’il suivait Olajaï et la Pieuvre !

Les deux personnages s’étaient assis à côté d’une vieille qui s’était dressée à leur approche et qui dévisageait la Pieuvre avec une certaine défiance.

Mais Olajaï parla, la vieille hocha la tête et il fut visible qu’elle faisait maintenant le meilleur accueil à la nouvelle venue.

Ils s’étaient rapprochés tous les trois et la conversation qu’ils tenaient à voix basse les intéressait tellement que Jean put avancer de quelques pas sans éveiller leur attention.

Il aurait bien voulu entendre ce qui se disait, mais cela lui fut impossible.

Après cette roulotte, Olajaï et la Pieuvre en visitèrent d’autres et puis, tout à coup, ils disparurent comme par enchantement et Jean ne parvint plus à les retrouver.

Il rentra tout pensif et très ému de l’aventure dans la lumière de la grand-rue et là il fut averti que les guardians venaient de se réunir à l’auberge du Petit-Rhône.

Quand il pénétra, le groupe, qui paraissait avoir une conversation des plus animées, se tut soudain.