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V. — Lou Cabanou

Jean regarda Rouletabille avec étonnement :

— Pourrait-on savoir ce qui te retiendra ici quand nous n’y serons plus ? demanda-t-il.

Sans doute Rouletabille n’avait-il point hâte de répondre, car il interpella tout de suite le vieil Alari qui entrait :

— Que se passe-t-il donc aux Saintes-Maries ?…

— Ah ! messies ! Dieu seul le sait !… Mais ce n’est pas pour rien qu’on appelle leur messe la messe du diable !

— Sache, mon ami, que les bohémiens sont de bons catholiques.

— Eh ! quès aco ?… N’empêche qu’ils disent la messe à rebours, dans la crypte !…

— Comment cela ?

— Eh bien ! leur vicaire leur fait face au lieu de leur tourner le dos, et l’autel lui aussi est retourné… Mais cela n’est rien, je vous dis… c’est ce qui se passe après !… Ah ! il ne faudrait pas qu’un roumi leur passe par les mains à ce moment-là !…

— Ils le mangeraient ?

— Non, mais il n’y a pas de bonne fête dans le fond de la crypte, s’il n’y a pas de sang !

— Qu’est-ce qui t’a dit ça ?

— Tout le monde sait ça en Camargue…

Jean haussa les épaules.

— Eh ! monsieur, reprit Alari, j’ai abordé l’un de ces maudits, pas plus tard qu’hier… et je lui ai demandé : « Ounte vas toun grand coutère ? » (Où vas-tu avec ton grand couteau ?) Il m’a répondu en me regardant de travers : « Coupa di testo : sien bourrère ! » (Couper des têtes : suis bourreau !)

— Et en attendant, qu’est-ce qu’il coupait ?

— Des osiers pour tresser ses corbeilles.

— Tu vois, mon brave Alari… Tu es un peu simple d’esprit, tu sais !…