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ROULETABILLE CHEZ LE TSAR

ment sa mère »… C’est en vain que, les jours suivants, nous cherchâmes à comprendre comment la boîte infernale avait été placée dans le bouquet de fleurs sauvages. Seuls, les amis du général que vous avez vus ce soir, Natacha et moi avions pénétré, au cours de la journée et vers le soir, dans la chambre du général. Aucun domestique, aucune femme de chambre ne montent au premier. Dans la journée, aussi bien que pendant la nuit, tout le premier est consigné et j’avais les clefs. La porte de l’escalier de service qui ouvre au premier, directement sur la chambre du général, cette porte est toujours fermée à clef et intérieurement au verrou. C’est Natacha et moi qui faisons les chambres. On ne saurait pousser les précautions plus loin… Trois agents de police veillaient sur nous, nuit et jour. La nuit du bouquet, deux avaient passé leur temps de veille autour de la maison et le troisième couché sur le canapé de la véranda. Enfin, nous retrouvâmes toutes les portes et fenêtres de la villa étroitement fermées. Dans ces conditions, vous devez juger si mon angoisse prit des proportions encore inconnues. Car à qui, désormais, se fier ? que et qui croire ? et sur qui et sur quoi veiller ?… À partir de ce jour, aucune autre personne que Natacha et moi n’eut le droit de monter au premier étage. La chambre du général fut interdite à ses amis. Du reste, le général allait mieux et bientôt il eut la joie de les recevoir lui-même à sa table. Je descends le général et je le remonte sur mon dos. Je ne veux l’aide de personne. Je suis assez forte pour cela. Je sens que je le porterais au bout du monde pour le sauver. Au lieu de trois agents, nous en eûmes dix : cinq dehors, cinq dedans. Le jour, cela allait bien, mais les nuits étaient épouvantables, car les ombres des policiers que je rencontrais me faisaient aussi peur que si je m’étais trouvée en face de nihilistes. Une nuit, j’ai failli en étrangler un de ma main. C’est à la suite de cet incident qu’il fut entendu avec Koupriane que les agents qui veillaient la nuit, à l’intérieur, resteraient tous consignés dans la véranda après avoir, la veille au soir, passé un examen complet de toutes choses. Ils ne devaient sortir de la véranda que s’ils entendaient un bruit suspect ou si je les appelais à mon aide. Et c’est sur ces entrefaites que survint l’événement du plancher, qui nous a tant intrigués, Koupriane et moi.

— Pardon, madame, interrompit Rouletabille, mais les agents, pendant leur examen de toutes choses, ne montaient pas au premier ?

— Non, mon enfant, depuis le bouquet, il n’y a que moi et Natacha, je vous le répète, qui montons au premier…

— Eh bien, madame, il faut m’y conduire tout de suite.

— Tout de suite.

— Oui, dans la chambre du général.

— Mais il repose, mon enfant !… Laissez-moi vous dire comment exactement est arrivée l’affaire du plancher et vous en saurez aussi long que moi et que Koupriane.

— Dans la chambre du général, tout de suite !

Elle lui prit les deux mains et les lui serra nerveusement.

— Petit ami ! Petit ami ! on y entend parfois des choses qui sont le secret de la nuit ! Vous me comprenez ?…

— Dans la chambre du général, tout de suite !…

Brusquement, elle se décida à l’y conduire, agitée, bouleversée par des idées et des sentiments qui la balançaient sans répit entre la plus folle inquiétude et la plus imprudente audace.


IV

« ELLE EST MORTE, LA JEUNESSE DE MOSCOU ! »


Rouletabille se laissait conduire par la générale, à travers la nuit ; mais ses pieds tâtonnants et ses mains en apparence malhabiles prenaient un contact sérieux avec