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L’ILLUSTRATION

naires, ne pouvaient être qu’en possession de Michel ou de Natacha. On n’a rien trouvé chez Michel ! Dites-moi donc que Matrena les a trouvés chez Natacha !… Alors, elle n’a plus hésité !…

— Si on lui montre son crime, croyez-vous qu’elle avouera ? demanda l’Empereur.

— J’en suis si sûr, que je l’ai fait venir. À cette heure Koupriane doit être au château avec Matrena Pétrovna !…

— Vous pensez à tout, monsieur !

Le tsar allait appuyer sur un timbre. Rouletabille étendit la main :

— Pas encore, sire !… Je vais vous demander de me permettre de ne point assister à la confusion de cette brave héroïque bonne dame qui m’a beaucoup aimé. Mais, auparavant, sire, qu’allez-vous me promettre ?

L’Empereur croyait avoir mal entendu ou mal compris. Il fit répéter cette chose qu’avait dite Rouletabille. Et l’autre répéta :

Qu’allez-vous me promettre ?… Non, sire, je ne suis pas fou ! J’ose vous demander cela, moi !… Je me suis confié à Votre Majesté ! Je vous ai dit le secret de Natacha ! Eh bien, maintenant, avant les aveux de Matrena, j’ose vous demander : me promettez-vous d’oublier ce secret-là ? Il ne s’agit pas seulement de rendre Natacha à son père : il s’agit de laisser faire Natacha… si vous voulez réellement sauver le général Trébassof !… Qu’allez-vous décider, sire ?

— C’est la première fois qu’on m’interroge, monsieur !

— Eh bien, ce sera la dernière, mais je supplie humblement Votre Majesté de me répondre…

— Voilà bien des millions donnés à la Révolution !

— Oh ! sire ! ils ne le sont pas encore !… Le général a soixante-cinq ans, mais il est encore plein de jours, si vous le voulez ! D’ici qu’il meure de sa belle mort, si vous le voulez vos ennemis auront désarmé !

— Mes ennemis ! murmura le tsar d’une voix sourde… non, non, mes ennemis ne désarmeront jamais !… Qui donc pourrait les désarmer ? ajouta-t-il mélancoliquement en secouant la tête.

Et le petit Rouletabille, crânement, lui jeta :

Le progrès, sire ! si vous le voulez !…

Le tsar devint tout rouge et considéra ce jeune audacieux qui ne baissait pas son regard sous celui d’une Majesté.

— C’est gentil ce que vous dites là, mon petit ami !… mais vous parlez comme un enfant !

— Comme un enfant de France au père du peuple russe !

Cela avait été dit d’une voix si profonde et, en même temps, si naïvement touchante que le tsar tressaillit. Il fixa quelque temps encore en silence le gamin qui, cette fois, détourna ses yeux humides :

Le progrès et la pitié, sire !

— Allons ! fit l’Empereur, c’est promis !

Rouletabille ne put retenir un mouvement de joie très peu protocolaire.

— Vous pouvez sonner, maintenant, sire !…

Et le tsar sonna.

Le reporter passa dans un petit salon où attendaient le maréchal, Koupriane et Matrena Pétrovna qui était « dans tous ses états ».

Elle jeta un regard louche à Rouletabille qui ne fut pas traité ce matin-là de cher petit domovoï-doukh. Et elle se laissa conduire, déjà défaillante, devant l’Empereur.

— Que se passe-t-il ?… demanda Koupriane, lui-même très agité.

— Il se passe, mon cher monsieur Koupriane, que j’ai obtenu la grâce de l’Empereur pour tous les crimes dont vous m’avez chargé et que j’ai voulu vous serrer la main avant de partir, sans rancune !… Monsieur Koupriane, l’empereur vous dira lui-même que le général Trébassof est sauvé ! et que sa vie ne sera plus jamais en danger !… Vous savez ce que cela veut dire !… Cela veut dire qu’il faut, sur-le-champ, rendre la