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ROULETABILLE CHEZ LE TSAR

Et, tout à coup, il partit comme un fou, traversa en droite ligne, et telle une flèche, toute la cour, s’engouffra dans la touba, bondit dans l’escalier, fouilla dans sa poche pour en tirer les clefs, ouvrit la porte de la chambre dont il avait également fermé la porte à clef, fit volte-face, redescendit avec la même vivacité, se retrouva dans la cour, et, cette fois, obliqua droit sur la chaise, la contourna toujours en courant, et revint à la même allure au hangar. Il ne fut pas plutôt arrivé là qu’il jeta un cri de triomphe en regardant la montre suspendue au poteau. « J’ai gagné ! » fit-il, et il se laissa tomber avec une émouvante allégresse sur le fatal escabeau. Tous l’entouraient et sur tous les visages Rouletabille pouvait lire la plus ardente curiosité. Soufflant encore de sa course désordonnée, il demanda à dire deux mots en particulier au chef du comité secret.

Alors celui qui avait prononcé le jugement et qui avait la douce figure de Jésus s’avança et il y eut un bref échange de paroles entre les deux jeunes gens. Les autres s’étaient écartés et assistaient de loin, toujours dans le plus impressionnant silence, à ce colloque mystérieux qui, certainement, décidait du sort de Rouletabille.

— Messieurs, dit le chef, le jeune Français va être rendu à la liberté. Nous lui accordons vingt-quatre heures pour qu’il délivre Natacha Féodorovna. Dans vingt-quatre heures, s’il n’a pas réussi, il redeviendra notre prisonnier, où qu’il se trouve !

Un heureux murmure accueillit ces paroles. Du moment que leur chef parlait ainsi, c’est que le salut de Natacha ne pouvait faire de doute.

Et le chef ajouta :

— Comme la libération de Natacha Féodorovna devra être suivie, me dit le jeune Français, de celle de notre compagnon Mataiew, nous décidons que, si ces deux conditions se réalisent, M. Joseph Rouletabille pourra en toute sécurité retourner en France, qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Deux ou trois seulement dirent : « Cet enfant se joue de nous, ça n’est pas possible ! »

Mais le chef déclara :

— Laissez faire cet enfant ! Il accomplira des miracles !


XX

LE TSAR


« Je l’ai échappé belle ! » s’écria Rouletabille en se retrouvant, au milieu de la nuit, au coin du canal Katherine et d’Aptiekarski pereoulok, cependant que la mystérieuse voiture qui l’avait amené repartait à toute allure du côté des Grandes Écuries… « Quel pays !… Quel pays !… »

Il courut d’une traite à la Grande Morskaïa, qui était près de là, entra dans l’hôtel comme une bombe, jeta l’interprète hors de sa paillasse, lui demanda « de quoi écrire », sa note et l’heure du train pour Tsarskoïe-Selo. Et comme l’interprète lui disait qu’on ne pouvait pas avoir de note à cette heure-ci, qu’il ne pouvait pas le laisser partir sans passeport et qu’il n’y avait plus de train pour Tsarskoïe-Selo, Rouletabille se livra à un chambard qui réveilla tout l’hôtel. Les voyageurs, craignant encore « un scandale », restèrent enfermés dans leur chambre. Mais M. le directeur descendit, tremblant, aux nouvelles. Quand il sut « de quoi il retournait », il voulut faire le malin, mais Rouletabille, qui avait vu jouer Michel Strogoff, lui lança un « service du tsar » qui le rendit immédiatement docile comme un mouton. Il prépara la note du jeune homme et lui donna son passeport qu’on avait apporté de la police dans l’après-midi. Rouletabille écrivit rapidement à l’adresse de Koupriane un mot dont le directeur de l’hôtel fut chargé et qu’il devait lui faire parvenir sans perdre une minute… et « sous peine de mort », assura le