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L’ILLUSTRATION

celui-ci aura rencontré en route un autre docteur et que, vu l’urgence, il l’aura envoyé, à la datcha.

— C’est ce qui est arrivé, répondit Rouletabille qui était soudain devenu très pâle. Cependant, il est étrange que ces messieurs n’aient pas été prévenus, car on a fait savoir à la datcha que, les docteurs ordinaires du général ne se trouvant pas chez eux, la police en avait fait prévenir deux autres qui allaient incessamment se présenter.

Koupriane sursauta :

— Mais Kister et Litchkof n’avaient pas quitté leur domicile ! Kister, qui venait de rencontrer Litchkof, me l’a affirmé ! Qu’est-ce que cela signifie ?

— Pourriez-vous me dire, demanda Rouletabille qui sentait venir le coup de foudre, comment se nomme cet inspecteur que vous aviez chargé de la commission ?

— Priemkof, un homme en qui je peux avoir toute confiance.



Ah ! elle vole vers les Îles, la voiture de Koupriane ! Le soir tardif est venu. Seuls sur la route déserte, les chevaux semblent partis pour les étoiles ; le char, derrière eux, ne pèse plus. Le cocher est penché au-dessus d’eux, les bras tendus, comme pour les lancer dans le vide. Ah ! la belle nuit, la belle nuit de paix assise au bord de la Neva et que viennent troubler ces prodigieux chevaux fous au galop.

« Priemkof ! Priemkof ! Un homme de Gounsovski ! j’aurais dû m’en douter, râle Koupriane après les explications de Rouletabille. Et maintenant, arriverons-nous à temps ? »

Ils sont debout dans le char, excitant le cocher, excitant les chevaux : « Scari ! scari ! Plus vite, dourak ! » Arriveront-ils avant les « bombes vivantes » ?… Les entendront-ils avant d’être arrivés ?… Ah ! voilà Élaguine !

Ils bondissent de rive en rive comme s’ils n’avaient pas de ponts pour soutenir leur course insensée. Et les oreilles sont tendues vers l’explosion, vers l’abomination qui va éclater tout à l’heure, qui se prépare sournoisement au fond de la nuit hypocrite et douce, sous le regard froid des étoiles. Soudain « Stoi ! stoi ! (arrête) ! » commande Rouletabille au cocher.

— Êtes-vous fou ? hurle Koupriane.

— Nous sommes fous si nous arrivons comme des fous !… C’est nous qui déterminerons la catastrophe !… Tandis que, s’il y a encore une chance… une seule ! une seule !… Si nous ne voulons pas la perdre… alors… arrivons tout doucement… et tranquillement, comme des amis qui savent le général hors de danger…

— Notre seule chance est d’arriver avant les médecins !… L’affaire ne devait pas être tout à fait prête, sans quoi elle serait déjà terminée ! Priemkof a dû être surpris par l’histoire du poison et il a sauté sur l’occasion ; mais, heureusement, il n’a pas trouvé tout de suite ses médecins !

— Voilà la datcha ! Au nom du ciel, ordonnez à votre cocher d’arrêter ses chevaux ici ; si les médecins sont déjà là, c’est nous qui aurons tué le général !

— Vous avez raison !…

Et Koupriane modère sa fièvre et celle de son cocher et celle de ses bêtes, et l’équipage s’arrête sans bruit, non loin de la datcha. Ermolaï s’avance.

— Priemkof ? interroge en tremblant Koupriane.

— Il est reparti, Excellence !

— Comment, reparti ?

— Oui ! mais il a ramené les médecins !

Koupriane brise les poignets de Rouletabille : les médecins sont là !…

— Mais la générale va mieux, continue Ermolaï qui ne comprend rien à cette