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L’ILLUSTRATION

— M’expliquerez-vous ?…

— Mon Dieu ! Excellence, rappelez-vous que je vous ai promis, en échange de la vie de votre prisonnier, la vie du général Trébassof. Eh bien, en me jetant dans vos jambes et en vous empêchant de joindre Katharina, je lui ai sauvé la vie, au général !… C’est bien simple !…

— Vous voulez rire ? Est-ce que vous vous moqueriez de moi ?

Mais le maître de police vit bien que Rouletabille ne riait pas du tout et qu’il ne se moquait de personne.

— Monsieur, insista-t-il, puisque vous parlez sérieusement, je voudrais bien comprendre…

— C’est inutile ! dit Rouletabille… Il est même nécessaire que vous ne compreniez pas…

— Mais enfin…

— Non, non, je ne puis rien vous dire…

— Quand donc me direz-vous quelque chose qui me fera comprendre votre invraisemblable conduite ?

Rouletabille l’arrêta et, solennellement, lui déclara :

— Monsieur Koupriane, rappelez-vous ce que Natacha Féodorovna, en levant ses beaux yeux au ciel, a répondu à son père, qui, lui aussi, voulait comprendre : Jamais !


XI

LE POISON CONTINUE


À dix heures du matin, Rouletabille se présenta à la villa Trébassof qui avait retrouvé sa garde d’agents secrets, garde doublée, car Koupriane était persuadé que les nihilistes ne tarderaient pas à vouloir venger la mort de Michel. Rouletabille ne fut reçu que par Ermolaï qui ne le laissa pas entrer. L’intendant lui donna en russe des explications que le jeune homme ne comprit pas, ou plutôt Rouletabille comprit très bien que, désormais, la porte de la villa, pour lui, était consignée. En effet, il demanda vainement à voir le général, Matrena Pétrovna et Mlle Natacha. L’autre ne savait répondre que niet, niet, niet. Le reporter s’en retourna donc sans avoir vu personne. Son air était des plus mélancoliques. Il revint dans la ville, à pied, longue promenade pendant laquelle il agita les pensers les plus sombres. En passant près du Département de la Police, il résolut de revoir Koupriane, entra et se fit annoncer. Introduit tout de suite auprès du grand maître, il le trouva penché sur un long rapport qu’il finissait de compulser avec une certaine agitation.

— Voici ce que m’envoie Gounsovski, fit-il de sa voix la plus rude en montrant le rapport. Gounsovski, « pour me rendre service », veut bien me faire savoir qu’il n’ignore rien de ce qui s’est passé, cette nuit, à la datcha Trébassof. Il m’avertit que les révolutionnaires ont décidé d’en finir au plus tôt avec le général et que deux d’entre eux ont reçu la mission de s’introduire sous n’importe quel prétexte dans la datcha. Le mode d’attentat serait le suivant : ils porteraient sur eux les bombes, qu’ils feraient exploser sur eux et avec eux quand ils se trouveraient aux côtés du général. Quelles sont les deux victimes désignées de cette horrible vengeance et qui ont accepté de gaieté de cœur cette mort par l’explosion ? Voilà ce que nous ne savons pas. Voilà ce que nous saurions peut-être si vous ne m’aviez pas empêché de saisir les papiers qui se trouvent maintenant en possession du price Galitch, termina Koupriane en se tournant avec hostilité du côté de Rouletabille.

Celui-ci était devenu très pâle.

— Ne regrettez point ces papiers-là, fit le reporter, c’est moi qui vous le dis. Mais ce que vous m’annoncez ne me surprend pas. Ils doivent croire que Natacha les a trahis !

— Ah. ! vous voyez donc bien qu’elle est sciemment leur complice !