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L’ILLUSTRATION

l’autre qui est venu pour assassiner… Quant à Michel Nikolaïevitch, je vous jure, mon père, sur tout ce qu’il y a de plus sacré au ciel et sur la terre qu’il ne pouvait pas commettre le crime que vous dites !… et maintenant, tuez-moi, car je ne puis vous en dire davantage !

— Le poison, reprit froidement Koupriane, le poison que l’on a versé dans la potion du général est cet arséniate de soude qui se trouvait sur le raisin apporté par le maréchal de la cour. Ce raisin avait été remis par le maréchal, qui avait recommandé de le laver, à Michel Nikolaïevitch et à Boris Alexandrovitch. Ce raisin a disparu. Si Michel est innocent, accusez-vous Boris ?

Natacha, qui semblait tout à coup perdre la force de se défendre, gémit, exténuée, mourante, râlante :

— Non ! Non ! n’accusez pas Boris ! Il ne manquerait plus que ça !… n’accusez pas Michel… n’accusez personne puisque vous ne savez pas !… puisqu’on ne sait pas !… Mais ces deux-là sont innocents… croyez-moi ! croyez-moi !… Ah ! comment vous dire ! comment vous dire ! je ne puis rien vous dire !… Et vous avez tué Michel !… Ah ! qu’est-ce que vous avez fait ?… qu’est-ce que vous avez fait ?…

— Nous avons supprimé un homme, fit la voix glacée de Koupriane, qui n’était que l’exécuteur des basses œuvres du nihilisme !

Elle parvint à se redresser avec une énergie nouvelle dont, arrivée à ce degré de désespoir, on l’eût crue incapable… Elle leva les poings sur Koupriane :

— Ça n’est pas vrai !… ça n’est pas vrai !… Des mensonges ! des infamies !… des horreurs de la police !… des papiers fabriqués… pour le perdre. Il n’y avait rien de tout ce que vous dites chez lui !… ça n’est pas possible !… ça n’est pas vrai !…

— Où sont-ils, ces papiers ? demanda la voix brève de Féodor. Apportez-les-moi tout de suite, Koupriane, je veux les voir…

Koupriane se troubla légèrement, mais ce mouvement ne passa pas inaperçu de Natacha qui s’écria :

— Oui ! Oui ! qu’il les donne donc ! qu’il les apporte, s’il les a !… mais il ne les a pas !… clama-t-elle, avec une joie sauvage… Il n’a rien ! Tu vois bien, papa, qu’il n’a rien. Sans cela, il me les aurait déjà jetés à la figure… Il n’a rien. Je te dis qu’il n’a rien… Ah ! il n’a rien ! Il n’a rien !

Et elle s’affala sur le plancher, pleurant, sanglotant, il n’a rien, il n’a rien ! On eût dit qu’elle pleurait de joie…

— C’est vrai ? demanda Féodor Féodorovitch, de son air le plus sombre. C’est vrai, Koupriane, que vous n’avez rien ?

— C’est vrai, mon général, nous n’avons rien trouvé… on avait déjà tout enlevé.

Mais Natacha poussait un véritable hurlement d’allégresse…

— Il n’a rien trouvé !… et il l’accuse d’avoir partie liée avec les révolutionnaires… pourquoi ? pourquoi ?… parce que je le recevais, moi ?… Mais moi, suis-je une révolutionnaire ? dites ?… Ai-je juré de tuer papa ?… Moi ?… Moi ?… Ah ! il ne sait plus quoi dire !… Tu vois bien, papa, qu’il se tait… Il a menti !… Il a menti !…

— Pourquoi, Koupriane, nous avez-vous trompés ?

— Oh ! nous soupçonnions Michel depuis quelque temps… et vraiment, après ce qui vient de se passer, nous ne pouvons plus avoir aucun doute !…

— Oui, mais vous affirmiez avoir des papiers et vous n’en avez pas. Ce sont là des procédés abominables, Koupriane, répliqua d’un ton de plus en plus sombre Féodor… des expédients que je vous ai entendu, maintes fois, condamner.

— Général ! Nous sommes sûrs, vous entendez, nous sommes absolument sûrs que l’homme qui a voulu vous empoisonner hier et l’homme d’aujourd’hui, celui qui est mort, ne font qu’un !

— Et à cause de quoi donc êtes-vous si sûr de cela ? Il faudrait nous le dire !… insista le général qui tremblait de détresse et d’impatience.

— Oui ! qu’il le dise donc, à quoi ?

— Demandez-le à monsieur ! fit Koupriane.

Ils se tournèrent vers Rouletabille.