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ROULETABILLE CHEZ LE TSAR

Le maître de police répondit à son oreille :

— On m’a fait savoir qu’il y aurait quelque chose cette nuit. Natacha est allée à Krestowsky et a échangé quelques paroles avec Annouchka. Le prince Galitch serait dans l’affaire, et c’est une affaire d’État.

— Natacha est rentrée ? demanda Rouletabille.

— Oui, il y a longtemps ! Elle doit être couchée. Dans tous les cas elle fait celle qui est couchée. La lumière de sa chambre, à la fenêtre du jardin, est éteinte.

— Avez-vous prévenu Matrena Pétrovna ?

— Oui, je lui ai fait savoir qu’il lui fallait se tenir, cette nuit, sur ses gardes.

— Vous avez eu tort ; moi, je ne lui aurais rien dit ; elle va prendre des précautions telles que les autres seront renseignés tout de suite.

— Je lui ai fait savoir qu’il fallait qu’elle ne descendît point de toute la nuit au rez-de-chaussée et qu’elle ne devait pas quitter la chambre du général.

— C’est parfait, si elle vous obéit.

— Vous voyez que j’ai profité de tous vos renseignements. J’ai suivi toutes vos instructions… le chemin de la datcha de Kristowsky est un peu surveillé !

— Peut-être trop. Comment allez-vous opérer ?

— Nous le laisserons pénétrer… je ne sais pas à quel personnage j’ai affaire… je veux agir à coup sûr… le prendre sur le fait… Pas d’histoires après, fiez-vous-en à moi.

— Adieu !…

— Où allez-vous ?

— Me coucher !… J’ai payé ma dette à mon hôte… j’ai le droit d’aller me reposer. Bonne chance !

Mais Koupriane lui avait saisi la main :

— Écoutez !

En effet, avec un peu d’attention, on distinguait un léger clapotis de l’eau. Si une barque glissait à cette heure à cet endroit de la Néva et qu’elle voulût rester cachée, elle avait bien choisi son moment. Un nuage énorme couvrait la lune ; le vent était faible. La barque aurait le temps d’aller d’une rive à l’autre sans se trouver à découvert. Rouletabille n’attendit pas davantage. À quatre pattes, il courait comme une bête, rapide et silencieux, et se relevait derrière le mur de la villa dont il faisait le tour, arrivait à la grille, se heurtait aux dvornicks, demandait Ermolaï qui lui ouvrit aussitôt la grille.

— Barinia ? prononçait-il.

Ermolaï lui montrait du doigt le premier étage.

— Caracho !

Rouletabille avait déjà traversé le jardin, se hissait à la force des poignets à la fenêtre donnant sur la chambre de Natacha et écoutait. Il entendit parfaitement Natacha qui marchait, se déplaçait, dans sa chambre obscure. Il retomba légèrement sur ses pieds, gravit le perron de la véranda et en ouvrit la porte, puis la referma sur lui avec une telle habileté qu’Ermolaï qui le regardait faire du dehors, à deux pas de là, ne put entendre le moindre grincement sur les gonds. À l’intérieur de la villa, Rouletabille s’avança à tâtons. Il trouva la porte du grand salon ouverte. La porte du petit salon, non plus, n’avait pas été fermée ou avait été réouverte. Il revint sur ses pas, tâta dans l’ombre un fauteuil, s’y assit, attendant les événements qui ne devaient plus tarder, prêt à tout, la main sur son revolver, dans sa poche. En haut, il entendait distinctement glisser de temps à autre les pas de Matrena Pétrovna. Et ceci devait évidemment donner de la sécurité à ceux qui avaient besoin quelquefois, la nuit, que le rez-de-chaussée fût libre. Rouletabille imagina que les portes des pièces du rez-de-chaussée avaient été laissées ouvertes pour qu’il fût plus facile à ceux qui se trouvaient en bas d’entendre ce qui se passait en haut. Et peut-être n’avait-il pas tort.

Soudain, il y eut une barre verticale de lumière pâle à la fenêtre qui donnait du petit salon sur la Néva. Il en déduisit deux choses : d’abord que la fenêtre était déjà légèrement ouverte, ensuite que la lune venait de se dévoiler à nouveau. La barre de lumière, s’éteignit presque tout de suite, mais les yeux de Rouletabille, maintenant habitués à l’obscurité, distinguaient encore la ligne d’ouverture de la fenêtre… Là,