Page:Leroux - Rouletabille chez Krupp, 1944.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
ROULETABILLE CHEZ KRUPP

fut assuré par lui-même que nul ne pouvait l’entendre, qu’il permit à La Candeur de profiter de la solitude où on les avait laissés tous deux, pour soulager le trop-plein de son âme aimante, dévouée, mais nullement héroïque.

Du reste, le reporter de L’Époque eut tôt fait de mettre fin à un bavardage sentimental et il fit subir à La Candeur un interrogatoire très serré qui lui permit d’apprendre le plus possible de choses utiles dans le moindre espace de temps.

C’est ainsi qu’il sut que les prisonniers militaires qui travaillaient à l’usine et qui couchaient autrefois dans un camp hors la ville avaient été installés définitivement à l’intérieur des usines dont ils ne franchissaient plus jamais les portes, depuis l’évasion de deux prisonniers ouvriers qui s’était produite quelques mois auparavant.

De cette façon, on ne craignait plus aucune fuite, ni aucune indiscrétion relative aux usines Krupp, tant que durerait la guerre.

Il en était résulté, du reste, un meilleur traitement pour les prisonniers. Ceux-ci avaient bénéficié des anciens casernements des ouvriers célibataires de l’usine, dont quelques centaines travaillaient maintenant sur le front.

Ces locaux affectés en même temps aux prisonniers militaires et aux ouvriers étrangers des nations neutres étaient appelés Arbeiterheime. Prisonniers et ouvriers étrangers étaient traités à peu près de la même sorte, avec la même surveillance… Partout où il y avait des ouvriers étrangers dans un atelier, il y avait des sentinelles baïonnette au canon, et ces ouvriers étaient aussi souvent fouillés et espionnés que les prisonniers eux-mêmes !

Un salaire particulièrement élevé les faisait passer par-dessus ces légers inconvénients.

Dans l’Arbeiterheim où couchaient Rouletabille et La Candeur, il y avait 600 ouvriers étrangers et une centaine de français. Ces derniers travaillaient tous à la fabrication des aciers de commerce ou des machines à coudre, seule besogne qu’ils pussent accepter.