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ESSEN

cuisines, est une espèce de rata où flottent quelques morceaux de viande qu’on ne saurait dénommer, 500 grammes de pain pour la journée. De l’eau à discrétion. Mais on a la ressource de faire venir de la bière de la cantine. À la fin du repas, un peu d’eau chaude au goût de gland qui a la prétention d’être du café !… Mais qu’importe à Rouletabille. Il se préoccupe bien, lui, de la nourriture !

Le feldwebel au teint couleur de brique, qui est heureux d’entendre un Français parler l’allemand, se pique, lui aussi, d’entendre et de parler un peu le français. Il dit à Rouletabille qui, tout en pensant à autre chose, semble considérer sans enthousiasme son assiette.

« Ia, ia, triste ! aber, c’est la guerre !… »

Après le déjeuner, on leur montre, toujours au même étage, une salle avec quelques cuvettes crasseuses, et une autre salle, avec une auge centrale où les prisonniers peuvent nettoyer eux-mêmes leur linge, c’est le lavoir. Rouletabille profite de ce qu’il se trouve à côté du feldwebel pour lui demander :

« On fait donc tout ici ?… On ne sort jamais d’ici ?…

— Jamais ! à moins que ce ne soit pour aller aux ateliers ou pour la promenade dans le préau… Mais jamais on ne sort de l’usine !… nie und nimmermehr ! (au grand jamais !…

— Eh bien ! me voilà renseigné ! »

On les laissa procéder à leur toilette. Chacun pouvait aller dans les salles communes : lavabo, lavoir, salle à manger, mais chacun ne pouvait pénétrer que dans sa chambre, sans risquer le Conseil de guerre. Sur l’ordre du feldwebel, Rouletabille dut expliquer cette partie du règlement à ses compagnons de captivité…

Après les ablutions, le reporter regagna donc sa chambre ou plutôt son dortoir. Il se jeta sur son lit, non pour dormir mais pour réfléchir…