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ESSEN

On imagine facilement quels furent sa stupéfaction, son ahurissement et son désespoir lorsque, le moment venu, Rouletabille lui expliqua qu’on ne l’avait introduit dans une fabrique de machines à coudre que pour l’envoyer à Essen et quand il sut quel chemin il devait prendre pour se rendre plus sûrement chez Krupp : d’abord le chemin de la tranchée…

Ensuite… Ah ! ensuite ! Eh bien, ensuite, dans un petit combat d’avant-garde, arrangé tout exprès pour lui, il devait être assez adroit pour se faire faire prisonnier par les Boches !… Défense d’être tué ou blessé !…

« Si tu suis bien le programme, lui avait dit Rouletabille pour le consoler, notre séparation sur laquelle tu te lamentes ne sera que de courte durée. N’oublie pas de dire au premier feldwebel auquel tu auras affaire que tu as travaillé toute ta vie dans les machines à coudre. Il paraît que c’est le plus sûr moyen d’être envoyé à Essen où nous nous retrouverons !

— Pourquoi ne pas nous y faire envoyer ensemble ? Pourquoi nous séparer ? avait encore gémi ce gros entêté de La Candeur !

— Pour n’éveiller aucun soupçon ! Moi, je me ferai prendre sur un autre point du front. Ne t’occupe pas de moi !

— Et qu’est-ce que nous allons faire à Essen ? pourrais-tu me le dire ?…

— Mais je te l’ai déjà dit, mon bon La Candeur ; nous allons fabriquer des machines à coudre !…

— Oui ! Oui ! compris ! encore quelque coup de ta façon ! »

L’affaire, bien montée et dirigée par Rouletabille, avait parfaitement réussi. La Candeur avait été fait prisonnier sans qu’apparemment il en eût résulté pour lui trop de dommage. Il n’en avait pas été de même pour Rouletabille. Le reporter s’était fait prendre devant Verdun dans un boyau qu’il avait choisi lui-même comme le plus propre à servir son entreprise ; cette tranchée était dénommée