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TANGO

— Bah ! Vous êtes encore jeune !… Épousez la princesse Botosamir.

— Ah ! on vous a dit !… fit Vladimir « en se rengorgeant ». À ce propos, je ne vous ai pas demandé des nouvelles de Mme Rouletabille ?… Toujours auprès de Radko-Dimitrief ? »

Rouletabille ne répondit pas. Le monde entier savait que l’illustre Bulgare Ivana Vilichkof, mariée après des aventures retentissantes au célèbre reporter de L’Époque[1], avait abandonné la cause du roi félon, bien avant la trahison de Ferdinand, et avait suivi en Russie le général patriote qui avait mis son épée au service du Tsar, dans cette guerre de vie ou de mort pour les races slaves. Dans cette tempête, l’amour de Rouletabille pour sa jeune femme n’avait donc eu à souffrir que de la fatalité qui séparait un ménage tendrement uni.

« Descendons ! fit Rouletabille, on n’a pas l’air de s’embêter ici… »

Ils descendirent.

Dans une vaste pièce qui donnait sur les derrières de l’hôtel et qui avait été l’atelier du peintre, on avait disposé une quantité de petites tables sur lesquelles était servi le champagne de rigueur (trente francs la bouteille).

Cependant, l’assemblée était joyeuse, sans scandale. Il était convenu qu’on dansait entre gens du monde. Le tango, au surplus, rend grave ; et les plus gaies des jolies soupeuses, dès qu’elles se mettaient à la danse, reprenaient cet air inspiré, mais plein d’application, qui caractérise les adeptes de la nouvelle chorégraphie.

Ce « dessous » tout à fait exceptionnel de Paris pendant la guerre fut loin de séduire, comme on pense bien, notre Rouletabille qui cependant n’était point prude.

Les deux jeunes gens s’étaient assis à une table, près de l’orchestre qui était composé d’un pianiste et de trois

  1. Rouletabille à la guerre, le Château Noir, les Étranges Noces de Rouletabille.