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LES TRIBULATIONS D’UN INVENTEUR

« Si imaginatif qu’ait été Jules Verne, s’exclama-t-il, il n’eût jamais osé rêver ce que la science actuelle est susceptible de matérialiser ! Dans mon affaire à moi, il ne s’agit pas d’un obus, mais d’une torpille. Et d’une torpille qu’aucun canon au monde ne pourrait contenir et qu’aucune charge d’explosif connue ne pourrait envoyer bien loin ! Ma torpille est plus grande que le « Titanic » ! Entendez-vous, je dis plus grande que le Titanic ! Elle a trois cents mètres de long. Elle est douée d’une vitesse de quatre cents kilomètres à l’heure ! Rien ne saurait l’arrêter ! Elle ruine tout, brûle tout, anéantit tout, dans un cercle de plusieurs lieues ! On ne peut rien contre elle, une fois lancée ! Rien au monde n’est capable de l’empêcher d’atteindre exactement son but, ni d’éclater à l’heure fixée et à l’endroit fixé ! Elle s’appelle Titania !… »

« Je ne sais si vous avez vu quelquefois Théodore Fulber, continua le directeur de L’Époque. Il a des yeux d’une clarté, d’une pureté enfantines, une figure de petit ange inspiré, dans un cadre farouche de mèches blanches qui se tordent comme des flammes autour de son front phénoménal !… et le tout est un mélange des plus curieux qui étonne et qui inquiète.

« Ce soir-là, il était très, très inquiétant. Quand il se leva de table, après nous avoir lancé sa formidable « tirade », il avait littéralement l’air d’un fou !… et j’ai pu croire qu’il allait tomber devant nous, d’une attaque d’apoplexie.

« C’est tout juste s’il n’oublia pas de me serrer la main et s’il se rendit compte que c’était dans mon auto que je le faisais reconduire chez lui.

« Quand il fut parti, le général me dit :

« Ce n’est pas le premier que la guerre a rendu fou ! N’importe ! Nous avons passé une bonne soirée ! Il est amusant avec sa torpille ! »

« Puis nous parlâmes d’autre chose.

« Le lendemain, je recevais un mot de Fulber me