— Le général D… est à Salonique, fit entendre le « Binocle d’écaille ». J’ai eu l’occasion de le voir quelques jours avant son départ. Il ne m’a parlé de rien qui pût se rapporter à Fulber…
— Il est probable qu’il l’avait déjà oublié ! émit le directeur de L’Époque.
— Fulber n’avait donc pas produit une grande sensation sur lui ? demanda le « Bureau de tabac ».
— Tous les détails de ce dîner sont parfaitement restés dans ma mémoire, répondit le directeur de L’Époque.
— Vous seriez tout à fait aimable de nous les faire connaître, monsieur ! exprima le « Président ».
— Eh bien, ce soir-là, dès le potage, Fulber, sans nous dévoiler son secret naturellement, nous entretint de la puissance formidable de son engin… et je me rappelle qu’il ne parlait pas depuis plus de cinq minutes que déjà le général D… s’écriait :
« Mais c’est une histoire de Jules Verne que vous nous racontez là, mon cher savant… Je l’ai lue quand j’étais au collège : cela s’appelle Les Cinq cents millions de la Béqum !… Attendez ! voici le sujet dont je me souviens très bien : un Boche de ce temps-là avait fabriqué un canon prodigieux qui envoyait sur une cité construite en Amérique par des Français, un projectile naturellement colossal et capable de tout anéantir en quelques minutes !… »
« Le général D…, pour dire cela, avait pris un ton si parfaitement ironique, que je crus devoir intervenir.
« Mon cher général, interrompis-je, nous vivons à une époque où toutes les imaginations de Jules Verne, sur la terre, dans les airs et sous les eaux, se réalisent si bien et si complètement, qu’il ne faudrait point s’étonner que celle-ci finît par entrer comme les autres dans le domaine de la réalité ! »
Pendant que je parlais ainsi, Fulber, qui était assis en face de nous, nous fixait, le général et moi, avec une expression de mépris incommensurable.