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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

Combien de fois n’avait-il pas désiré que l’on fît appel à ses dons d’initiative, d’invention, pour remplir quelque mission exceptionnellement difficile à laquelle il se fût donné de toute son âme, de toute son imagination !

Eh bien ! aujourd’hui, il était servi ! On le faisait venir pour sauver Paris !… Les plus hauts personnages de l’État attendaient le caporal Rouletabille pour sauver Paris !… Tout simplement !… Ah ! çà, mais, qu’est-ce que cela signifiait : Sauver Paris ?…

C’étaient ces deux mots-là qui le bousculaient, l’aveuglaient, l’empêchaient de comprendre quoi que ce fût à une aussi prodigieuse aventure !…

Il savait bien, lui, qui revenait des tranchées, que les autres ne passeraient plus jamais !… Et tout le monde le savait aussi !… Et eussent-ils pu passer, qu’il ne pouvait avoir la prétention de les arrêter à lui tout seul !… Et cependant, il résultait bien de la conversation qu’il venait d’avoir avec son patron, que c’était lui qui allait sauver Paris !… Alors ? alors ? alors ?…

« Mince alors ! » jeta-t-il tout haut sur le boulevard qu’il était en train de traverser pour se jeter dans une auto qui le conduisit au hammam…

… Une heure plus tard, quand il sortit de là, après un furieux exercice hygiénique et de solides massages, il se retrouva très calme, très maître de lui, prêt à tous les événements, paré pour toutes les aventures. Il dîna dans un modeste restaurant des Champs-Élysées, dans l’ombre d’un bosquet, seul avec sa pensée et avec son impatience qu’il travaillait à maîtriser. Il eût voulu montrer « aux plus hauts personnages » un Rouletabille de marbre que rien ne pouvait émouvoir.

À 10 heures, il franchissait la grille de la place Beauvau. Il était introduit tout de suite dans le bureau du chef de cabinet, où se trouvait déjà le directeur de L’Époque.

« On est allé prévenir le ministre », lui dit le patron en lui serrant la main, et tous deux restèrent assis en face l’un de l’autre, en silence…