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À FOND DE CALE

lement en face de lui la fille de Fulber… Or, à ce moment, Rouletabille avait déjà prononcé les paroles qui promettaient la fuite et indiquaient le rendez-vous nocturne dans les bureaux de Richter…

Ainsi s’expliquaient la pâleur et le subit désarroi du reporter à l’Essener-Hof… déjà, depuis quelques minutes, il était étonné de certaines attitudes, de certaines façons d’être de Nicole qui ne lui « revenaient » guère… Le calme de la jeune fille, sa passivité devant les manifestations brutalement patriotiques des invités du général von Berg, lui étaient apparus quasi inexplicables en face du souvenir de l’exaltation vengeresse qui avait secoué précédemment la fiancée de Serge ; et cela, en dehors de toute prudence, lors de son entrevue avec le Polonais.

Que Rouletabille eût mis un instant une si inattendue réserve au compte de l’héroïsme, il l’avait bien fallu… mais, dans la conversation qu’il avait eue ensuite avec la jeune fille, celle-ci lui avait si singulièrement souri lorsqu’il lui avait rappelé son engagement, que Rouletabille avait eu la sensation aiguë qu’elle ignorait la nature de cet engagement-là !… On sourit ainsi au rappel d’un engagement d’amour, mais non d’un engagement de mort !…

Et si, en se retournant, sous l’effondrement déterminé par cet incroyable sourire, Rouletabille n’avait aperçu le général von Berg qui fixait sur eux un regard assidu, le reporter aurait eu, à peu près la certitude qu’il venait de parler à une autre qu’à Nicole !… Mais quoi ? Ce sourire n’était-il point commandé par le jeu de comédie auquel Nicole devait s’astreindre sous des regards trop curieux ?…

Angoisse inexprimable, inquiétude sans nom !…

Prescience d’une suprême fourberie d’un ennemi qui avait besoin, pour aller jusqu’au bout de son chantage, d’une Nicole bien portante, alors que l’autre, la vraie, n’était plus sans doute, à cette heure, qu’une morte ou qu’une moribonde !…