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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

même teinte que la carnation. Mettez sur tout cela des rubans bleus et ceignez la taille de déesse d’une ceinture dorée à boucle d’argent, agrémentée de petits cailloux du Rhin, et ne vous étonnez point que ce bon Richter fût si amoureux !

Nous ne nous attarderons point non plus à énumérer les nombreux plats énormes qui furent convenablement « nettoyés » dans cette petite fête par des convives rendus très joyeux par les crus les plus appréciés de la vigne allemande et française, et aussi (il faut être juste) par la certitude du triomphe prochain de la Kultur.

À ce point de vue, le délire patriotique ne commença de prendre d’intéressantes proportions qu’au dessert et, comme il convient, à l’heure des toasts.

Ceux-ci furent nombreux et pleins d’un esprit redoutable.

Un régiment étant venu à passer sous les fenêtres du banquet, mit le comble à l’allégresse générale par l’écho du rythme précis et lourd des mille bottes qui, a la même seconde, battaient le sol de la vieille Germanie ; et, comme presque aussitôt des centaines de voix entonnaient un chant guerrier et farouche, les convives entonnèrent, eux aussi, l’Am Rhein, am Rhein, Am deutschen Rhein !… et cela, bien entendu, en levant les verres avec des gestes qui semblaient brandir des sabres !…

Le tout se termina par des rugissements : Russen kaput ! Engländer kaput !… et des tas d’autres kaput ! parmi lesquels éclata naturellement le Franzosen kaput !…

Rouletabille, très rouge, s’enfonçait les ongles dans la paume des mains, tout en regardant Nicole, qui lui parut un peu agitée…

Puis, vinrent les discours, les toasts…

Enfin, on se leva de table et l’on se répandit dans les salons pour prendre le café et les liqueurs et pour fumer de mauvais cigares.

C’est ce moment-là que Rouletabille attendait pour se rapprocher de Nicole. Dans le brouhaha général, il put la