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LE DÉJEUNER DES FIANÇAILLES

« Elle mérite d’être sauvée ! Je la sauverai ! » se jura le reporter,

À ce moment, le vieil hauptmann qu’il avait à sa droite se pencha sur Rouletabille et lui dit :

« Avouez qu’on dit beaucoup de mal chez vous de notre Empereur, le monde ne connaît pas ceux qu’il lapide !… Savez-vous pourquoi Sa Majesté est venue dernièrement à Essen ? Parce que le bruit commençait à courir dans le monde que la fille de l’inventeur Fulber y avait été maltraitée. Il a voulu se rendre compte par lui-même de la valeur de ces racontars, et vous pouvez voir, de vos propres yeux, si nous la soignons, la fille de l’inventeur Fulber ! Tenez ! on lui verse encore du champagne, du vrai champagne de France, pris à Reims, qui ne peut pas lui faire de mal !… Ach !… L’Empereur, voyez-vous, cher monsieur, si je ne craignais pas de me servir d’un terme anglais (mort à l’Angleterre !), l’Empereur est un véritable gentleman like !… toujours gentleman like !… Aussi, on se ferait tuer pour lui !… Moi, je suis un vieux bougre qui ai porté déjà pour lui trois fois mes os au marché, mais il n’a qu’un signe à faire, et j’y retourne ! ma vieille carcasse lui appartient !… c’est un gentleman like !…

— Passez-moi encore des choux rouges, demanda à la gauche de Rouletabille la petite cousine… et versez-moi de la sauce, et cessez d’écouter ce vieux radoteur qui va encore nous raconter ses campagnes. Quand on dîne près de lui, votre tête vous fait mal comme si on avait joué aux quilles avec pendant trois jours ! Ach… Tous ces gens-là sont trop sérieux pour une petite fille comme moi, une petite backfisch qui a été à Paris et qui sait apprécier la französische frivolität !… »

Il fut dit beaucoup d’autres choses aimables ou menaçantes dans ce repas de fiançailles ; Fraulein Helena était rayonnante et l’excellent Richter ne cessait de la regarder avec des yeux attendris par le charme d’une carnation de rose et par le goût d’une toilette qui était à peu près de la