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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

Paris, dit-elle, en manière de conclusion, mais j’espère bien que nous ne détruirons pas Magic-City ! »

Le mot fut entendu et eut du succès. Von Berg commença par déclarer que Jules César n’était qu’un imbécile en comparaison de l’Empereur, et que l’Empereur détruirait tout ce qu’il faudrait, et même Magic-City, si c’était nécessaire, mais que la Kultur triompherait sur toute la terre.

« C’est, du reste, ce que nos amis (et nous pouvons même ajouter après avoir promené nos regards autour de cette vaste table), ce que quelques-uns de nos ennemis ont déjà commencé à très bien comprendre !… »

À ces derniers mots, Rouletabille ne put s’empêcher de rougir jusqu’au bout des oreilles. Nicole, elle, ne rougit point, mais elle regarda Rouletabille qui la regarda. Tous deux semblèrent s’être compris et baissèrent le nez dans leur assiette.

Le mouvement avait été sans doute saisi par la brillante assemblée, car la brillante assemblée éclata en applaudissements, en hoch ! en hurrah !…

Le reporter songeait moins à sa honte et à son humiliation qu’il espérait pouvoir faire bientôt suivre d’une éclatante vengeance, qu’aux sentiments de rage et de douleur qui devaient habiter le cœur de Nicole.

Il était reconnaissant à la jeune fille de montrer tant de sagesse en face des monstres qui la bafouaient, elle et son pays !… Rouletabille n’avait qu’à se rappeler la fureur et l’éclat qui avaient mis fin à la dernière entrevue de Nicole avec Serge pour donner tout son prix au silence de la fille de Fulber depuis les dernières paroles de von Berg.

Elle ne broncha pas. Ainsi lui obéissait-elle, à lui, Rouletabille, et lui prouvait-elle une confiance qui, nous le savons, allait jusqu’à la mort. Tout de même, pour une femme comme celle-ci, il est plus facile de mourir, que de s’entendre dire que l’on est devenue l’amie des Boches, sans protester.