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LE MAÎTRE DU FEU

lera le travail du premier. Ainsi, le lingot devient un tube dont les parois vont s’amincissant à chaque filière nouvelle… Quand c’est fini, on a un canon. Il ne reste plus qu’à le rayer. C’est rapide. C’est le nouveau procédé avec lequel, en deux heures, on peut faire un canon. Autrefois, lors du forage à froid, il fallait une journée et demie ! Et la Mort attendait ! Il ne faut pas faire attendre la Mort, épouse acariâtre du maître de céans…

Depuis deux heures, le maître promène ainsi tous ses hôtes dans son domaine.

Tous les ateliers, tous les gouffres s’ouvrent devant lui et sa suite. Les forges, même les plus secrètes, dont nul regard profane n’avait encore osé pénétrer le mystère enflammé, s’entr’ouvrent un instant pour que puisse être satisfait l’orgueil de l’homme, et parfaite la publicité de terreur qu’il est décidé à répandre sur le monde.

Il y a, dans cette troupe qui court sur les talons du monstre, des journalistes. Rouletabille reconnaît des confrères d’outre-Rhin qu’il a fréquentés professionnellement à Paris, quand ils y étaient les correspondants de la paix et, à beaucoup de titres, les préparateurs de la guerre.

Et le reporter est heureux que la présence du maître éblouisse les yeux et le laisse, lui, dans l’ombre.

Dans l’ombre, avec son compagnon, il suit l’escorte. Il s’arrange pour en faire partie. Tous deux semblent être là par ordre, avec ces gardes du corps et cette valetaille militaire que les pas de l’empereur du feu traînent toujours derrière lui.

Si on interroge Rouletabille, il a une réponse toute prête où se formulera la consigne reçue d’accompagner partout le souverain d’Essen dans le cas, justement, où le feu oublierait sa servitude. Deux pompiers, armés de bombes extinctrices, sont une sécurité, même pour le diable, si celui-ci, pour venir sur la terre, s’est déguisé de chair humaine.

On ne fait donc pas attention aux pompiers qui, eux, font attention à tout.