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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

Ils ne s’étaient jamais trouvés dans l’usine, la nuit. Ils n’en avaient entendu que le terrible vacarme, qui ne s’éteint pas plus que le feu des creusets ; mais il fallait à leurs yeux le repoussoir des ténèbres pour embrasser d’un coup l’horrible splendeur de ce chaos en flammes ! La moindre porte entr’ouverte sur le travail intérieur embrasait soudain la nuit d’un fulgurant brasier ; les panaches rouges des hautes cheminées se tordaient au-dessus de leurs têtes au milieu des tourbillons d’une fumée empestée, plus noire que le ciel… d’autres fulgurances rabattues par le vent, descendaient et se dispersaient en une pluie incessante de feu et de cendre chaude.

« Allons ! souffla Rouletabille. Du courage, La Candeur ! »

Et La Candeur, docile et consterné, condamné à tourner dans cette fournaise maudite, sans savoir quel crime l’a fait descendre dans la géhenne, répète :

« Allons !… puisqu’il faut aller !… »

Un point de repère semble guider Rouletabille dans cette nuit de flammes. Ce sont les hauts murs de la tour octogone dont il a gravi dernièrement les degrés avec Richter ; c’est la tour d’eau. Ils y arrivent sans encombre. Ils passent au milieu de toutes les ombres qui habitent les voies bordées de rugissantes forges, sans qu’on leur pose une question.

À la tour d’eau, Rouletabille s’arrête un instant, s’oriente, attend que l’endroit soit devenu désert, puis se glisse, toujours poussant sa voiture et toujours suivi de La Candeur, entre deux énormes bâtiments, aux murs sans portes, et qui ont entre eux comme une rivière d’ombre…

Les jeunes gens sont tout de suite noyés dans cette nuit protectrice et bientôt se trouvent en face d’un édifice que on a avec intention isolé autant que possible du grand labeur retentissant ; c’est la maison où reposent le directeur du laboratoire d’Énergie, Hans, avec sa fille Helena, et sa prisonnière Nicole.

Rouletabille sait que la fenêtre de la chambre de Nicole