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ROULETABILLE CHEZ KRUPP

« Elle se redressa comme mue par un ressort, puis me brûlant les yeux de son regard d’acier sombre :

« — Il n’y a qu’une façon de nous sauver tous ! me souffla-t-elle, c’est de me tuer !… Quand je serai morte, l’autre ne dira plus rien puisqu’il n’aura plus à craindre qu’ils me fassent souffrir ! Tuez-moi donc, monsieur !… Si vous avez une arme, tuez-moi ! et je serai sauvée !… Moi, j’ai essayé plusieurs fois ! mais ils veillent… Ils ne me quittent pas ! La nuit, dans ma chambre, il y a toujours une vieille femme qui ne ferme jamais les yeux. Ils me forcent à prendre de la nourriture, quand je la refuse !… Par le Seigneur Dieu !… s’il n’y a pas une arme ici, il y a bien un clou pour me pendre !… Dépêchez-vous, car ils ne vont pas me laisser longtemps seule !…

« J’avais toutes les peines du monde à l’empêcher de parler, de délirer et cependant mon poing sur sa bouche étouffait, écrasait la moitié de ses phrases insensées… Enfin, je pus la maîtriser :

« — Croyez-vous qu’il ait déjà livré le secret du « gouvernail compensateur » ? demandai-je.

« À ces mots précis, elle reconquit tout son sang-froid.

« — Non ! mais c’est comme si c’était déjà fait. Vous avez entendu le pauvre fou !… Quand le moment en sera venu, il ne leur résistera pas !

« — S’il n’a pas déjà parlé, il n’y a encore rien de perdu, fis-je…

« — Mais il va parler !.. mais il va parler !… Vous n’avez donc pas compris cela à son délire !

« — Si !… Mais dans combien de temps devra-t-il parler ?…

« — Il devra parler le 21 de ce mois, et nous sommes le 6. Il devra parler dans quinze jours !…

« Suffoqué par ces chiffres auxquels j’étais loin de m’attendre, je balbutiai :

« — Mais il n’est pas possible qu’ils aient eu le temps de construire la Titania.

« Elle m’interrompit.