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UNE ENTREVUE DRAMATIQUE

« Ici, un rire effroyable, et tout à coup j’eus la terreur (en face d’un pareil désespoir et d’une semblable folie). la terreur qu’il eût déjà parlé !’qu’il eût tout livré ! tout dit !… Sensation qui me brisa les jambes et me fit m’accrocher haletant à cette porte derrière laquelle se passait le plus grand drame de la terre (nouvelle étape de mon raisonnement, nouvelle illumination de ma cervelle en flammes) et cette sensation, je pensais immédiatement que Nicole avait dû la ressentir également, car, elle, dont on n’avait pas encore entendu la voix jusqu’alors, se leva tout à coup dans un mouvement des plus passionnés et lui jeta :

« — Mille morts ! mille morts ! pour moi et pour toi et pour mon père, plutôt que ton crime !… »

« Et elle tenta de s’accrocher à lui pour lui jeter encore :

« — Je me laisserai mourir de faim… je me laisserai… »

« Mais elle n’eut pas le loisir de continuer : le général von Berg, qui avait eu sans doute ses raisons de laisser s’épancher le désespoir du Polonais, s’était rué sur Nicole dès qu’il l’avait entendue et, avec une brutalité sans nom, il la traîna jusqu’à ma porte et la jeta dans la petite pièce où j’étais réfugié et qu’il croyait naturellement déserte !

« Moi, je n’avais pris que le temps de m’aplatir contre la muraille. Il ne me vit pas et referma la porte à clef.

« Dans le même moment, je l’entendis qui appelait le gardien dans le vestibule et qu’il lui donnait l’ordre de rester devant cette porte et il s’éloigna avec le Polonais qui emplissait la maison de ses cris de démenti…

« Quant à moi, j’étais déjà penché sur le corps étendu de Nicole, à demi évanouie, et j’eus tôt fait de la faire revenir complètement à elle en lui disant :

« — Je suis venu ici pour vous sauver ! j’ai vu votre mère ! je suis venu ici, envoyé par le gouvernement français, pour vous sauver et pour sauver Paris de la Titania !