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direction E. 4° N. Le terrain crétacé inférieur se produisit. Il se compose de sables ferrugineux, de grès ordinairement verdâtre, appelé pour cela grès vert, et de la craie-tuffau de la Touraine. On y trouve beaucoup de débris animaux, et l’on s’aperçoit en les étudiant que les organes de la vie se sont perfectionnés.

Un nouveau soulèvement N.-N.-O. fit saillir le Mont-Viso, plusieurs crêtes élevés de la Grèce, parmi lesquelles se remarque la fameuse montagne du Pinde, détermina la direction des principales côtes d’Italie, et se fit sentir en France et en Espagne à travers les Pyrénées, depuis l’ile de Noirmoutiers jusqu’à Valence, en donnant une journée nouvelle à notre globe. Il interrompit les dépôts des terrains de l’époque antérieure, et fut suivi de la formation d’une puissante assise de calcaire mêlée de couches de silex, à laquelle on a donné le nom de terrain crétacé supérieur. On y remarque des bancs très-considérables uniquement composés de coquilles microscopiques. Cette alluvion est riche en squelettes. Les deux tiers appartiennent à des espèces qui n’existent plus. L’énorme saurien de Maëstricht, voisin des iguanes par ses formes, connu sous le nom de Mosasaure, long de 8 mètres, dont la tête, longue d’un mètre et demi, était armée de dents terribles, puis des mammifères-cétacés, appartenant aux genres lamemins et dauphins, figurent au premier rang parmi les plus curieux de ces débris fossiles. En revanche, la Flore est peu riche.

Un neuvième système de montagnes fut soulevé, E. 18° S., par la réaction des forces intérieures du globe. Il éleva tout à coup au-dessus des eaux la plus grande partie de notre continent, la chaîne des Pyrénées, les Apenins, les Alpes Juliennes, les Carpathes, les Balkans, diverses montagnes de la Grèce, de la Bosnie et de la Croatie, et fit sentir son action même en Angleterre. Il sépara le terrain crétacé supérieur de ceux que l’on devait appeler un jour les terrains tertiaires. Alors commencèrent à se déposer l’argile plastique et les lignites de cette formation, puis le calcaire grossier, puis les marnes gypseuses avec ossements de mammifères.

La chaleur superficielle du globe était moins intense que par le passé. La croûte terrestre augmentait en épaisseur ; les saisons commençaient à se dessiner ; l’air était sensiblement purifié : aussi le règne végétal et le règne animal se rapprochèrent-ils, par des modifications nouvelles, de ce qu’ils devaient être un jour.

Des conifères se rencontrent en compagnie de phanérogames monocotylédones, de palmiers et de dycotilédons.

Le calcaire de cette époque est riche en coquilles, et surtout en madrépores, en cérites, en cétacés, qui ont encore leurs analogues. Les oiseaux étaient en petit nombre ; c’étaient probablement les premiers qui eussent paru, car il conviendrait peu sans doute d’appeler de ce nom les volatiles qui vivaient dans l’air de l’époque du grès bigarré. Parmi les mammifères terrestres, on remarquait des paleotherium et des anoplotherium.

Trois autres soulèvements sont venus, depuis l’apparition des Pyrénées et des Apennins, modifier encore la surface du globe et dessiner, tels qu’ils le sont aujourd’hui, nos continents. Le premier, N.-S, a fait saillir la Corse et la Sardaigne, antérieurement à la déposition du grès de Fontainebleau, du calcaire d’eau douce, des meulières et des lignites du terrain tertiaire moyen.

Le second, N. 26° E., auquel appartiennent les Alpes occidentales, a précédé beaucoup de trachytes et de basaltes ; ces roches ignées, produites par éruption, ou, si mieux l’on aime, par éjaculation, qui se sont manifestées entre les volcans modernes et les mélaphyres traps diorites et serpentines.

Cette formation a été produite par le soulèvement de granits que, par erreur, longtemps l’on a appelés protogynes ; elle a précédé le tuf à ossements fossiles, les couches de sable et les alluvions de la première époque des terrains tertiaires.

Le douzième et dernier soulèvement européen a mis en relief la chaine principale des Alpes. Dirigé E. 16° N., il est postérieur aux dépôts des terrains tertiaires et antérieur aux terrains contemporains, aux grands volcans des Andes, à nos autres volcans modernes éteints ou brûlants, à cette formation que l’un de mes amis, M. Émile Boblaye, à décrite à la suite de son voyage en M rée, à l’apparition des dépôts sédimentaires de la Sardaigne, aux terrains d’alluvions qui remplissent nos vallées ou qui forment des deltas à l’entrée de nos fleuves. Ce douzième cataclysme signala la dix-huitième journée de l’existence du globe. C’est alors que l’Angleterre et la France furent séparées, que la Méditerranée fut limitée dans son contour actuel.

Nous devons revenir maintenant sur les dernières formations pour rappeler quelques faits. C’est surtout à l’époque jurassique qu’apparaissent les icthiosaures, les plésiosaures et les ptérodactyles.

C’est dans le terrain crétacé supérieur que l’on rencontre les mammifères, dauphins et lamentins qui vivaient au sein des eaux. C’est dans la formation que le soulèvement de la Corse et de la Sardaigne a mise en évidence que l’on trouve les premières plantes de dycotiledonées et des animaux vertébrés de l’ordre des mammifères supérieurs aux cétacés et aux marsupiaux, analogues à nos tapirs et à notre rhinocéros. Les terrains qui suivirent renferment des squelettes de palcotherium différents de ceux du gypse et de dynotherium giganteum. On y trouve du combustible fossile ; les empreintes de ces lignites nous apprennent que des noyers, des ormes, des érables, des bouleaux pareils à ceux qui existent, mêlent leur feuillage à celui de plantes du genre des palmiers dans la Suisse, la Provence et le Languedoc. — Le soulèvement des Alpes occidentales paraît avoir précédé l’apparition des grands carnivores analogues aux ours, aux hyènes, aux lions, aux tigres, aux loups qui vivent encore à la surface de la terre. Ils habitaient des cavernes où leurs ossements se trouvent en grand nombre. Ces animaux et la masse des plantes dycotiledonées n’ont apparu qu’après une dernière épuration de l’air par la craie. Avant ce cataclysme qui a précédé la venue de l’homme sur la terre, une configuration différente du globe lui donnait une autre climature, et puis ces diverses espèces d’animaux pouvaient différer quelque peu des nôtres : aussi les éléphants, les mastodontes, l’hippopotame, le rhinocéros, le tapir, le megatherium, le cerf et le bœuf vivaient-ils dans les contrées où l’on trouvait l’ours, l’hyène, le lion et le tigre de l’époque.

Ce qu’il importe surtout de bien remarquer, c’est que les forces organogénésiques de la nature ont toujours agi depuis la formation des premières molécules animales et végétales, en procédant du simple au composé. C’est que le développement des êtres doués de vie a marché progressivement au fur et à mesure que leurs milieux, l’air et l’eau, s’épuraient et s’amélioraient. C’est que les organes de la vie animale ont suivi rapidement les progrès de la respiration. Comment comprendre que les poumons reçussent de jour en jour un air plus oxygéné et plus pur de vapeurs et d’acide carbonique sans admettre une oxygénation plus parfaite du sang, une nutrition différente de tous les organes poussant à des modifications progressives dans chacun d’eux, modifications incessantes qui devaient promptement altérer une race de manière à la transformer en une race nouvelle ? Comment admettre encore, avant l’existence d’animaux à poumons, que l’action d’un air plus pur fût sans influence sur les organes qui se trouvaient à son contact ?

Un jour ce livre que j’écris sera refait avec les données fécondes de découvertes nouvelles ; alors il contiendra la série des différentes phases du globe, représentées par des cartes analogues à celles qu’Elie de Béaumont a tracées pour nos contrées européennes.

La série des soulèvements du monde entier aura son histoire plus complète que ne l’est aujourd’hui celle des soulèvements européens.

En regard de chaque formation géologique, figureront les plantes et les animaux que l’on y trouve, ainsi que les roches ignées qui les ont traversées.

Les épurations successives des eaux et de l’atmosphère seront appréciées par la nature et l’épaisseur des couches qui ont servi à cette œuvre si importante. Ainsi se trouveront écrites les vies solidaires des cinq organes du globe, les continents, les eaux, les airs, la substance végétale et la substance animale, et l’homme, dans cette grande histoire des ères antérieures à la sienne, trouvant le secret de sa mission, puisera le courage nécessaire pour accomplir ses destinées. :

A. GUÊPIN.


NOVATOR.

CHAPITRE PREMIER.

L’an de Rome 817, le quatorzième des calendes d’Auguste et vers la troisième heure de la nuit, un groupe de jeunes patriciens stationnait près du Forum. — Quelles nouvelles du palais ? demanda l’un d’eux. — Néron s’ennuie, répondit un autre. Les applaudissements de sa cour ne lui suffisent plus ; il rêve le triomphe des jeux olympiques et projette un voyage en Grèce. Hier, son humeur chagrine étant au comble, il a frappé Poppœa, et, regardant Rome, a de nouveau déploré l’étroitesse et l’irrégularité de ses rues ; enfin, il a cassé sa lyre sur la tête de l’affranchi Tullius. — Néron s’ennuie ! répétèrent les jeunes Romains d’une voix sourde ; que les dieux nous protégent ! — Le sénateur Antistius, reprirent-ils, accusé de n’avoir point offert de sacrifices pour la conservation du prince et de sa divine voix, s’est justifié par l’abandon de ses biens. — Jusques à quand, nobles amis, supporterons-nous ce joug infâme ? Rome n’a plus de liberté, le sénat plus d’autorité ; les chevaliers ont perdu leurs priviléges. La maîtresse des nations doit-elle être la proie d’un furieux ? — Silence ! dirent les jeunes gens, silence, Camillus ! de telles paroles ont de dangereux échos. — Il en sera ce que les dieux ont décidé, reprit Camillus ; mais que Jupiter me foudroie si je ne préfère les chances d’une mort glorieuse à cette vie débauchée, sur laquelle est perpétuellement suspendue une menace de mort. Las d’orgies, à la fin, je suis révolté par tant de crimes. — Illustre Camillus, s’écria l’un des interlocuteurs, toi qui sauvas Rome du barbare Gaulois, entends les paroles de ton descendant !… Jamais il ne sut vider une coupe de Falerne, et la rigidité de ses mœurs… Un éclat de rire général interrompit ce discours. — Rions de notre honte, dit Camillus. Autrefois, pleine d’horreur pour les tyrans, la jeunesse romaine les proscrivait du monde entier. Austère et belliqueuse alors, elle était puissante et respectée. — Cher ami, dit un des jeunes gens, que ferions-nous, seuls ? Le peuple est à Néron, à Néron, qui le gorge avec nos richesses de viandes et de spectacles. — Lâcheté ! dit un autre. — Soyons justes, amis. Qui de nous saurait être brave contre la misère ? Le peuple se rappelle que, sous la république, il lui fallait acheter sa subsistance au prix des révoltes de l’Aventin. — Par Vénus, le peuple