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les trois souhaits


Au Père L. de S., Franciscain.

Tu vins frapper à ma porte. Quand je l’eus ouverte, ta tête rase s’inclinait sur ta robe de bure et je vis sur mon seuil tes pieds nus dans les sandales aux lanières de cuir.

Moine, tu devinais mon étonnement et ne montrais point ta figure. Hypocrite, ta voix se dissimulait pour que je ne la reconnusse point et tu disais :

— Mon fils, je viens demander à l’esprit de charité un morceau de pain avec beaucoup de beurre dessus.

Nous n’étions pas encore au temps du carnaval. C’était, il me souvient exactement, ce 15 janvier dernier, jour du terme, et je me demandais qui pouvait être cet homme, à la tête rase et aux pieds nus, vêtu de l’habit de franciscain et qui était un vrai moine. Mais tu levas vers moi ton regard ami et nous fûmes dans les bras l’un de l’autre. Ah bien ! la dernière fois que je t’avais vu, c’était, je crois, il y a huit ans, dans un mauvais lieu.

Au café, sans doute, et tu portais redingote, jeune docteur. La vie est donc ainsi faite que l’on quitte ses amis athées et qu’on les retrouve moines ? Entre, franchis mon seuil, viens t’asseoir à ma table, récite ton benedicite et montre-moi ta figure radieuse. Je ne te connaissais pas des yeux si clairs, un front si serein, un air si joyeux ; répète-moi que tu es heureux dans la paix du Seigneur, que tu vas prêchant la vérité, soulageant les malades et mendiant par les routes.

Alors te voilà mendiant, toi si fier, et te voilà si pauvre qui voulus être si riche ?

Tu me dis :

— Écoute. Depuis sept ans que la grâce est descendue en moi et que je suis, d’apparence, le plus misérable des hommes, je sais le vrai bonheur. Les biens ne sont point de ce monde. Ne parle point de pauvreté, car si tu soupçonnais ma richesse tu n’en voudrais pas d’autre. Elle ne se compte pas en sous. Depuis sept ans que je traîne sur les chemins l’habit sacré de saint François, mes doigts n’ont pas touché une pièce d’or, un pauvre petit sou de cuivre.

Et tu as ajouté avec un bon sourire :

— Crois-moi, c’est le meilleur moyen de rompre avec les tracas de l’argent. Je n’en ai plus.

Inconsciemment, je dis :

— Je voudrais bien être à ta place.

À peine avais-je prononcé ces mots que le concierge se présentait, une quittance à la main. Je fouillai dans mes poches.

— Monsieur, lui dis-je, non sans quelque émoi, remportez votre papier, car je ne sais par quel miracle me voilà tout dégarni de numéraire.