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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

du boulevard des Capucines ; le second, rue Auber. Les deux lettres du fantôme F. de l’Opéra avaient été mises au bureau de poste du boulevard des Capucines. C’est Moncharmin qui le remarqua en examinant les enveloppes.

« Tu vois bien ! » fit Richard.

Ils haussèrent les épaules et regrettèrent que des gens de cet âge s’amusassent encore à des jeux aussi innocents.

« Tout de même, ils auraient pu être polis ! fit observer Moncharmin. As-tu vu comme ils nous traitent à propos de la Carlotta, de la Sorelli et de la petite Jammes ?

— Eh bien, cher, ces gens-là sont malades de jalousie !… Quand je pense qu’ils sont allés jusqu’à payer une petite correspondance à la Revue théâtrale !… Ils n’ont donc plus rien à faire ?

— À propos ! dit encore Moncharmin, ils ont l’air de s’intéresser beaucoup à la petite Christine Daaé…

— Tu sais aussi bien que moi qu’elle a la réputation d’être sage ! répondit Richard.

— On vole si souvent sa réputation, répliqua Moncharmin. Est-ce que je n’ai pas, moi, la réputation de me connaître en musique, et j’ignore la différence qu’il y a entre la clef de sol et la clef de fa.

— Tu n’as jamais eu cette réputation-là, déclara Richard, rassure-toi. »

Là-dessus, Firmin Richard donna l’ordre à l’huissier de faire entrer les artistes qui, depuis deux heures, se promenaient dans le grand couloir de l’administration en attendant que la porte directoriale s’ouvrît, cette porte derrière laquelle les attendaient la gloire et l’argent… ou le congé.

Toute cette journée se passa en discussions, pourparlers, signatures ou ruptures de contrats ; aussi je vous prie de croire que ce soir-là — le soir du 25 janvier — nos deux directeurs, fatigués par une âpre journée de colères, d’intrigues, de recommandations, de menaces, de protestations d’amour ou de haine, se couchèrent de bonne heure, sans avoir même la curiosité d’aller jeter un coup d’œil dans la loge n° 5, pour savoir si MM. Debienne et Poligny trouvaient le spectacle à leur goût. L’Opéra n’avait point chômé depuis le départ de l’ancienne direction, et M. Richard avait fait procéder aux quelques travaux nécessaires, sans interrompre le cours des représentations.

Le lendemain matin, MM. Richard et Moncharmin trouvèrent dans leur courrier, d’une part, une carte de remerciement du fantôme, ainsi conçue :

« Mon cher Directeur,

« Merci. Charmante soirée. Daaé exquise. Soignez les chœurs. La Carlotta, magnifique et banal instrument. Vous écrirai bientôt pour les 240 000 francs, — exactement 233 424 fr 70 ; MM. Debienne et Poligny m’ayant fait parvenir les 6 575 fr 30, représentant les dix premiers jours de ma pension de cette année, — leurs privilèges finissant le 10 au soir.

« Serviteur.

« F. de l’O. »


D’autre part, une lettre de MM. Debienne et Poligny :

« Messieurs,

« Nous vous remercions de votre aimable attention, mais vous comprendrez facilement que la perspective de réentendre Faust, si douce soit-elle à d’anciens directeurs de l’Opéra, ne puisse nous faire oublier que nous n’avons aucun droit à occuper la première loge numéro 5, qui appartient exclusivement à celui dont nous avons eu l’occasion de vous parler, en relisant avec vous, une dernière fois, le cahier des charges, — dernier alinéa de l’article 63.

« Veuillez agréer, messieurs, etc. »


« Ah ! mais, ils commencent à m’agacer, ces gens-là ! » déclara violemment Firmin Richard, en arrachant la lettre de MM. Debienne et Poligny.

Ce soir-là, la première loge n° 5 fut louée.

Le lendemain, en arrivant dans leur cabinet, MM. Richard et Moncharmin trouvaient un rapport d’inspecteur relatif aux événements qui s’étaient déroulés la veille au soir dans la première loge numéro 5. Voici le passage essentiel du rapport qui est bref :