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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

Cela se trouve entre une ferme et un décor abandonné du Roi de Lahore, exactement, exactement à l’endroit où est mort Joseph Buquet…

— Ah ! ce chef machiniste que l’on a trouvé pendu ?

— Oui, monsieur, ajouta sur un singulier ton le Persan, et dont on n’a pu retrouver la corde !… Allons ! du courage… et en route !… et remettez votre main en garde, monsieur… Mais où sommes-nous donc ? »

Le Persan dut allumer à nouveau sa lanterne sourde. Il en dirigea le jet lumineux sur deux vastes corridors qui se croisaient à angle droit et dont les voûtes se perdaient à l’infini.

« Nous devons être, dit-il ; dans la partie réservée plus particulièrement au service des eaux… Je n’aperçois aucun feu venant des calorifères. »

Il précéda Raoul, cherchant son chemin, s’arrêtant brusquement quand il redoutait le passage de quelque hydraulicien, puis ils eurent à se garer de la lueur d’une sorte de forge souterraine que l’on finissait d’éteindre et devant laquelle Raoul reconnut les démons entr’aperçus par Christine lors de son premier voyage au jour de sa première captivité.

Ainsi, ils revenaient peu à peu jusque sous les prodigieux dessous de la scène.

Ils devaient être alors tout au fond de la cuve, à une très grande profondeur, si l’on songe que l’on a creusé la terre à quinze mètres au-dessous des couches d’eau qui existaient dans toute cette partie de la capitale ; et l’on dut épuiser toute l’eau… On en retira tant que, pour se faire une idée de la masse d’eau expulsée par les pompes, il faudrait se représenter en surface la cour du Louvre et en hauteur une fois et demie les tours de Notre-Dame. Tout de même, il fallut garder un lac.

À ce moment, le Persan toucha une paroi et dit :

« Si je ne me trompe, voici un mur qui pourrait bien appartenir à la demeure du lac ! »

Il frappait alors contre une paroi de la cuve. Et peut-être n’est-il point inutile que le lecteur sache comment avaient été construits le fond et les parois de la cuve.

Afin d’éviter que les eaux qui entourent la construction ne restassent en contact immédiat avec les murs soutenant tout l’établissement de la machinerie théâtrale dont l’ensemble de charpentes, de menuiserie, de serrurerie, de toiles peintes à la détrempe doit être tout spécialement préservé de l’humidité, l’architecte s’est vu dans la nécessité d’établir partout une double enveloppe.

Le travail de cette double enveloppe demanda toute une année. C’est contre le mur de la première enveloppe intérieure que frappait le Persan en parlant à Raoul de la demeure du Lac. Pour quelqu’un qui eût connu l’architecture du monument, le geste du Persan semblait indiquer que la mystérieuse maison d’Erik avait été construite dans la double enveloppe, formée d’un gros mur construit en batardeau, puis par un mur de briques, une énorme couche de ciment et un autre mur de plusieurs mètres d’épaisseur.

Aux paroles du Persan, Raoul s’était jeté contre la paroi, et avidement avait écouté.

… Mais il n’entendit rien… rien que des pas lointains qui résonnaient sur le plancher dans les parties hautes du théâtre.

Le Persan avait à nouveau éteint sa lanterne.

« Attention ! fit-il… gare à la main ! et maintenant silence ! car nous allons essayer encore de pénétrer chez lui. »

Et il l’entraîna jusqu’au petit escalier que tout à l’heure ils avaient descendu.

… Ils remontèrent, s’arrêtant à chaque marche, épiant l’ombre et le silence…

Ainsi se retrouvèrent-ils au troisième dessous…

Le Persan fit alors signe à Raoul de se mettre à genoux, et c’est ainsi, en se traînant sur les genoux et sur une main — l’autre main étant toujours dans la position indiquée — qu’ils arrivèrent contre la paroi du fond.

Contre cette paroi, il y avait une vaste toile abandonnée du décor du Roi de Lahore.

… Et, tout près de ce décor, un portant…

Entre ce décor et ce portant, il y avait tout juste la place d’un corps.

… Un corps, qu’un jour on avait trouvé pendu… le corps de Joseph Buquet.


Le Persan, toujours sur ses genoux, s’était arrêté. Il écoutait.

Un moment, il sembla hésiter et regarda