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LE MYSTÈRE DES TRAPPES

« Aussitôt après l’enlèvement de Christine Daaé, j’ai fait prévenir mon domestique d’avoir à m’apporter ces armes, monsieur. Je les connais depuis longtemps, il n’en est point de plus sûres.

— Vous voulez vous battre en duel ! interrogea le jeune homme, surpris de l’arrivée de cet arsenal.

— C’est bien, en effet, à un duel que nous allons, monsieur, répondit l’autre en examinant l’amorce de ses pistolets. Et quel duel ! »

Sur quoi il tendit un pistolet à Raoul et lui dit encore :

« Dans ce duel, nous serons deux contre un ; mais soyez prêt à tout, monsieur, car je ne vous cache pas que nous allons avoir affaire au plus terrible adversaire qu’il soit possible d’imaginer. Mais vous aimez Christine Daaé, n’est-ce pas ?

— Si je l’aime, monsieur ! Mais vous, qui ne l’aimez pas, m’expliquerez-vous pourquoi je vous trouve prêt à risquer votre vie pour elle !… Vous haïssez certainement Erik !

— Non, monsieur, dit tristement le Persan, je ne le hais pas. Si je le haïssais, il y a longtemps qu’il ne ferait plus de mal.

— Il vous a fait du mal à vous ?…

— Le mal qu’il m’a fait à moi, je le lui ai pardonné.

— C’est tout à fait extraordinaire, reprit le jeune homme, de vous entendre parler de cet homme ! Vous le traitez de monstre, vous parlez de ses crimes, il vous a fait du mal et je retrouve chez vous cette pitié inouïe qui me désespérait chez Christine elle-même !… »

Le Persan ne répondit pas. Il était allé prendre un tabouret et l’avait apporté contre le mur opposé à la grande glace qui tenait tout le pan d’en face. Puis il était monté sur le tabouret et, le nez sur le papier dont le mur était tapissé, il semblait chercher quelque chose.

« Eh bien, monsieur ! fit Raoul, qui bouillait d’impatience. Je vous attends. Allons !

— Allons où ? demanda l’autre sans détourner la tête.

— Mais au-devant du monstre ! Descendons ! Ne m’avez vous point dit que vous en aviez le moyen ?

— Je le cherche. »

Et le nez du Persan se promena encore tout le long de la muraille.

« Ah ! fit tout à coup l’homme au bonnet, c’est là ! » Et son doigt, au-dessus de sa tête, appuya sur un coin du dessin du papier.

Puis il se retourna et se jeta à bas du tabouret.

« Dans une demi-minute, dit-il, nous serons sur son chemin ! »

Et, traversant toute la loge, il alla tâter la grande glace. « Non ! Elle ne cède pas encore… murmura-t-il.

— Oh ! nous allons sortir par la glace, fit Raoul !… Comme Christine !…

— Vous saviez donc que Christine Daaé était sortie par cette glace ?

— Devant moi, monsieur !… J’étais caché là sous le rideau du cabinet de toilette et je l’ai vue disparaître, non point par la glace, mais dans la glace !

— Et qu’est-ce que vous avez fait ?

— J’ai cru, monsieur, à une aberration de mes sens ! à la folie ! à un rêve !

— À quelque nouvelle fantaisie du fantôme, ricana le Persan… Ah ! monsieur de Chagny, continua-t-il en tenant toujours sa main sur la glace… plût au Ciel que nous eussions affaire à un fantôme ! Nous pourrions laisser dans leur boîte notre paire de pistolets !… Déposez votre chapeau, je vous prie… là… et maintenant refermez votre habit le plus que vous pourrez sur votre plastron… comme moi… rabaissez les revers… relevez le col… nous devons nous faire aussi invisibles que possible… »

Il ajouta encore, après un court silence, et en pesant sur la glace :

« Le déclenchement du contrepoids, quand on agit sur le ressort à l’intérieur de la loge, est un peu lent à produire son effet. Il n’en est point de même quand on est derrière le mur et qu’on peut agir directement sur le contrepoids. Alors, la glace tourne, instantanément, et est emportée avec une rapidité folle…

— Quel contrepoids ? demanda Raoul.

— Eh bien, mais, celui qui fait se soulever tout ce pan de mur sur son pivot ! Vous pensez bien qu’il ne se déplace pas tout seul, par enchantement ! »

Et le Persan, attirant d’une main Raoul, tout