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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

VI

le commissaire de police, le vicomte et le persan


La première parole de M. le commissaire de police, en pénétrant dans le bureau directorial, fut pour demander des nouvelles de la chanteuse.

« Christine Daaé n’est pas ici ? »

Il était suivi, comme je l’ai dit, d’une foule compacte.

« Christine Daaé ? Non, répondit Richard, pourquoi ? »

Quant à Moncharmin, il n’a plus la force de prononcer un mot… Son état d’esprit est beaucoup plus grave que celui de Richard, car Richard peut encore soupçonner Moncharmin, mais Moncharmin, lui, se trouve en face du grand mystère… celui qui fait frissonner l’humanité depuis sa naissance : l’Inconnu.

Richard reprit, car la foule autour des directeurs et du commissaire observait un impressionnant silence :

« Pourquoi me demandez-vous, monsieur le commissaire, si Christine Daaé n’est pas ici ?

— Parce qu’il faut qu’on la retrouve, messieurs les directeurs de l’Académie nationale de musique, déclare solennellement M. le commissaire de police.

— Comment ! Il faut qu’on la retrouve ! Elle a donc disparu ?

— En pleine représentation !

— En pleine représentation ! C’est extraordinaire !

— N’est-ce pas ? Et, ce qui est tout aussi extraordinaire que cette disparition, c’est que ce soit moi qui vous l’apprenne !

— En effet…, acquiesce Richard, qui se prend la tête dans les mains et murmure : Quelle est cette nouvelle histoire ? Oh ! décidément, il y a de quoi donner sa démission !… »

Et il s’arrache quelques poils de sa moustache sans même s’en apercevoir :

« Alors, fait-il comme en un rêve… elle a disparu en pleine représentation.

— Oui, elle a été enlevée à l’acte de la prison, dans le moment où elle invoquait l’aide du ciel, mais je doute qu’elle ait été enlevée par les anges.

— Et moi j’en suis sûr ! »

Tout le monde se retourne. Un jeune homme, pâle et tremblant d’émotion, répète :

« J’en suis sûr !

— Vous êtes sûr de quoi ? interroge Mifroid.

— Que Christine Daaé a été enlevée par un ange, monsieur le commissaire, et je pourrais vous dire son nom…

— Ah ! ah ! monsieur le vicomte de Chagny, vous prétendez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un ange, par un ange de l’Opéra, sans doute ? »

Raoul regarde autour de lui. Évidemment, il cherche quelqu’un. À cette minute où il lui semble si nécessaire d’appeler à l’aide de sa fiancée le secours de la police, il ne serait pas fâché de revoir ce mystérieux inconnu qui, tout à l’heure, lui recommandait la discrétion. Mais il ne le découvre nulle part. Allons ! il faut qu’il parle !… Il ne saurait toutefois s’expliquer devant cette foule qui le dévisage avec une curiosité indiscrète.


« Oui, monsieur, par un ange de l’Opéra, répondit-il à M. Mifroid, et je vous dirai où il habite quand nous serons seuls…

— Vous avez raison, monsieur. »

Et le commissaire de police, faisant asseoir Raoul près de lui, met tout le monde à la porte, excepté naturellement les directeurs, qui, cependant, n’eussent point protesté, tant ils paraissaient au-dessus de toutes les contingences.

Alors Raoul se décide :

« Monsieur le commissaire, cet ange s’appelle Erik, il habite l’Opéra et c’est l’Ange de la musique !

L’Ange de la musique ! En vérité ! ! Voilà qui est fort curieux !… L’Ange de la musique ! »

Et, tourné vers les directeurs, M. le commissaire de police Mifroid demande :