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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

— Alors, interrogea Richard qui s’efforçait de rassembler ses souvenirs, alors j’aurai été sûrement volé dans le trajet de l’Opéra à mon domicile…

— Non ! fit sur un ton plus sec que jamais Moncharmin… non… ça n’est pas possible… C’est moi qui t’ai reconduit chez toi dans ma voiture. Les vingt mille francs ont disparu chez toi… cela ne fait plus pour moi l’ombre d’un doute. »

C’était là l’idée qu’avait maintenant Moncharmin.

« Cela est incroyable ! protesta Richard… je suis sûr de mes domestiques !… et si l’un d’eux avait fait ce coup-là, il aurait disparu depuis. »

Moncharmin haussa les épaules, semblant dire qu’il n’entrait pas dans ces détails.

Sur quoi Richard commence à trouver que Moncharmin le prend avec lui sur un ton bien insupportable.

« Moncharmin, en voilà assez !

— Richard, en voilà trop !

— Tu oses me soupçonner ?

— Oui, d’une déplorable plaisanterie !

— On ne plaisante pas avec vingt mille francs !

— C’est bien mon avis ! déclare Moncharmin, déployant un journal dans la lecture duquel il se plonge avec ostentation.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? demande Richard. Tu vas lire le journal maintenant !

— Oui, Richard, jusqu’à l’heure où je te reconduirai chez toi.

— Comme la dernière fois ?

— Comme la dernière fois. »

Richard arrache le journal des mains de Moncharmin. Moncharmin se dresse, plus irrité que jamais. Il trouve devant lui un Richard exaspéré qui lui dit, en se croisant les bras sur la poitrine, — geste d’insolent défi depuis le commencement du monde :

« Voilà, fait Richard, je pense à ceci. Je pense à ce que je pourrais penser, si, comme la dernière fois, après avoir passé la soirée en tête-à-tête avec toi, tu me reconduisais chez moi, et si, au moment de nous quitter, je constatais que les vingt mille francs avaient disparu de la poche de mon habit… comme la dernière fois.

— Et que pourrais-tu penser ? s’exclama Moncharmin cramoisi.

— Je pourrais penser que… puisque tu ne m’as pas quitté d’une semelle, et que, selon ton désir, tu as été le seul à approcher de moi comme la dernière fois, je pourrais penser que si ces vingt mille francs ne sont plus dans ma poche, ils ont bien des chances d’être dans la tienne ! »

Moncharmin bondit sous l’hypothèse.

« Oh ! s’écria-t-il, une épingle de nourrice !

— Que veux-tu faire d’une épingle de nourrice ?

— T’attacher !… Une épingle de nourrice !… une épingle de nourrice !

— Tu veux m’attacher avec une épingle de nourrice ?

— Oui, t’attacher avec les vingt mille francs !… Comme cela, que ce soit ici, ou dans le trajet d’ici à ton domicile ou chez toi, tu sentiras bien la main qui tirera ta poche… et tu verras si c’est la mienne, Richard !… Ah ! c’est toi qui me soupçonnes maintenant… Une épingle de nourrice ! »

Et c’est dans ce moment que Moncharmin ouvrit la porte du couloir en criant :

« Une épingle de nourrice ! qui me donnera une épingle de nourrice ? »

Et nous savons aussi comment, dans le même instant, le secrétaire Rémy, qui n’avait pas d’épingle de nourrice, fut reçu par le directeur Moncharmin, cependant qu’un garçon de bureau procurait à celui-ci l’épingle tant désirée.

Et voici ce qu’il advint :

Moncharmin, après avoir refermé la porte, s’agenouilla dans le dos de Richard.

« J’espère, dit-il, que les vingt mille francs sont toujours là ?

— Moi aussi, fit Richard.

— Les vrais ? demanda Moncharmin, qui était bien décidé cette fois à ne pas se laisser « rouler ».

— Regarde ! Moi je ne veux pas les toucher », déclara Richard.

Moncharmin retira l’enveloppe de la poche de Richard et en tira les billets en tremblant car, cette fois, pour pouvoir constater fréquem-