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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

dre demain ? Il nous a peut-être entendus ce soir !…

— Mais non ! mais non ! Il travaille, je vous le répète, à son Don Juan triomphant, et il ne s’occupe pas de nous.

— Vous en êtes si peu sûre que vous ne cessez de regarder derrière vous.

— Allons dans ma loge.

— Prenons plutôt rendez-vous hors de l’Opéra.

— Jamais, jusqu’à la minute de notre fuite ! Cela nous porterait malheur de ne point tenir ma parole. Je lui ai promis de ne nous voir qu’ici.

— C’est encore heureux pour moi qu’il vous ait encore permis cela. Savez-vous, fit amèrement Raoul, que vous avez été tout à fait audacieuse en nous permettant le jeu des fiançailles.

— Mais, mon cher, il est au courant. Il m’a dit : « J’ai confiance en vous, Christine. M. Raoul de Chagny est amoureux de vous et doit partir. Avant de partir, qu’il soit aussi malheureux que moi !… »

— Et qu’est-ce que cela signifie, s’il vous plaît ?

— C’est moi qui devrais vous le demander, mon ami. On est donc malheureux, quand on aime ?

— Oui, Christine, quand on aime et quand on n’est point sûr d’être aimé.

— C’est pour Erik que vous dites cela ?

— Pour Erik et pour moi, fit le jeune homme en secouant la tête d’un air pensif et désolé. »

Ils arrivèrent à la loge de Christine.

« Comment vous croyez-vous plus en sûreté dans cette loge que dans le théâtre ? demanda Raoul. Puisque vous l’entendiez à travers les murs, il peut nous entendre.

— Non ! Il m’a donné sa parole de n’être plus derrière les murs de ma loge et je crois à la parole d’Erik. Ma loge et ma chambre, dans l’appartement du lac, sont à moi, exclusivement à moi, et sacrées pour lui.

— Comment avez-vous pu quitter cette loge pour être transportée dans le couloir obscur, Christine ? Si nous essayions de répéter vos gestes, voulez-vous ?

— C’est dangereux, mon ami, car la glace pourrait encore m’emporter et, au lieu de fuir, je serais obligée d’aller au bout du passage secret qui conduit aux rives du lac et là d’appeler Erik.

— Il vous entendrait ?

— Partout où j’appellerai Erik, partout Erik m’entendra… C’est lui qui me l’a dit, c’est un très curieux génie. Il ne faut pas croire, Raoul, que c’est simplement un homme qui s’est amusé à habiter sous la terre. Il fait des choses qu’aucun autre homme ne pourrait faire ; il sait des choses que le monde vivant ignore.

— Prenez garde, Christine, vous allez en refaire un fantôme.

— Non ce n’est pas un fantôme ; c’est un homme du ciel et de la terre, voilà tout.

— Un homme du ciel et de la terre… voilà tout !… Comme vous en parlez !… Et vous êtes décidée toujours à le fuir ?

— Oui, demain.

— Voulez-vous que je vous dise pourquoi je voudrais vous voir fuir ce soir ?

— Dites, mon ami.

— Parce que, demain, vous ne serez plus décidée à rien du tout !

— Alors, Raoul, vous m’emporterez malgré moi !… n’est-ce pas entendu ?

— Ici donc, demain soir ! à minuit je serai dans votre loge… fit le jeune homme d’un air sombre ; quoi qu’il arrive, je tiendrai ma promesse. Vous dites qu’après avoir assisté à la représentation, il doit aller vous attendre dans la salle à manger du Lac !

— C’est en effet là qu’il m’a donné rendez-vous.

— Et comment deviez-vous vous rendre chez lui, Christine, si vous ne savez pas sortir de votre loge « par la glace » ?

— Mais en me rendant directement sur le bord du lac.

— À travers tous les dessous ? Par les escaliers et les couloirs où passent les machinistes et les gens de service ? Comment auriez-vous conservé le secret d’une pareille démarche ? Tout le monde aurait suivi Christine Daaé et elle serait arrivée avec une foule sur les bords du lac. »

Christine sortit d’un coffret une énorme clef et la montra à Raoul.

« C’est la clef de la grille du souterrain de la rue Scribe.

— Je comprends, Christine. Il conduit direc-