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Ce n’est plus la figure désespérée que nous avons vue apparaître sur le seuil du salon Pompadour de la place de la Roquette. Cette face d’outre-tombe est revenue à la vie, ces joues ont repris de la couleur, ces yeux n’ont plus leur regard d’épouvante.

Gabrielle s’avance vers Robert d’un mouvement si spontané, tout son être gracieux tendu vers lui, les mains en avant cherchant déjà celles du jeune artiste, que l’on devine qu’il y a dans ce mouvement-là une reconnaissance infiniment douce et qui brûle de s’exprimer.

— Oh ! mon ami !… dit-elle.

C’est tout ce qu’elle trouve… C’est du moins tout ce qu’elle dit… Elle s’arrête pleine de confusion, car elle vient de s’apercevoir qu’elle est tout contre, tout contre la poitrine du jeune homme, si près de son cœur qu’elle pourrait l’entendre battre…

Et alors elle recule un peu, si peu qu’un spectateur désintéressé de cette petite scène, après avoir jugé que le premier mouvement qui avait précipité Gabrielle vers Robert était de reconnaissance, n’aurait pas hésité à estimer que le second qui l’en éloignait était d’amour…

Robert Pascal n’était pas moins troublé que la jeune fille : peut-être l’était-il davantage, car enfin, si elle n’avait dit que trois mots, il n’avait pas encore prononcé une parole, lui… Mais ses yeux parlaient pour lui, son regard enveloppait Gabrielle.

Il parvint cependant le premier à rompre le charme de ce trouble délicieux. Il pria la jeune fille de s’asseoir et lui dit, sur un ton qu’il parvint à rendre des plus naturels :

— Eh bien ! Gabrielle, vous avez sans doute de grandes nouvelles à m’apprendre ?…

— Vous savez bien que mon père est sauvé ! s’écria la jeune fille.

— Certes ! Je le sais depuis que vous avez poussé cette porte, répliqua Robert Pascal. Car cela seul, n’est-ce pas, pouvait faire votre regard si brillant, votre physionomie si rayonnante, vos gestes si vivants… Quand je vous ai vue pour la dernière fois, il y a trois jours, Gabrielle, vous sembliez une morte et vous voilà ressuscitée… En faut-il davantage pour m’apprendre que votre père est sauvé ?

— Mon ami ! C’est à vous qu’il doit la vie !… C’est à vous qu’il devra l’honneur…

— À moi ? s’écria le jeune homme, en montrant les marques de la plus sincère stupéfaction. À moi ?…

— Oui, à vous !… Je ne sais ce que vous faisiez pendant ces trois jours d’absence, ces trois longs jours interminables, ces jours de folie où j’attendais ici un mot de vous comme vous me l’aviez ordonné, pendant que mon père attendait l’heure prochaine où il allait marcher à l’échafaud… Je ne sais ce que vous faisiez… mais mon cœur me dit que pas une minute de ces trois jours ne s’est écoulée sans que vous ayez travaillé pour nous, pour lui… pour son salut… pour sa délivrance…