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supporter l’éclat des deux yeux foudroyants, et il recula en étouffant entre ses dents quelques syllabes incompréhensibles.

L’éclair n’est pas plus aveuglant que le regard de R. C. quand R. C. se retrouve debout sur cette terre dont il possède le secret. C’était de la Douleur qui s’était courbée sur elle, c’est une Fureur sainte qui se relève. Et, en vérité, quand, retourné vers Paris, vers la ville dont on aperçoit, du haut de ce misérable tumulus, les tours, les clochers, les flèches innombrables, les dômes monstrueux, quand, debout au-dessus de la prodigieuse cité qui s’éveille, le roi des Catacombes étend lentement la main dans un geste de divine menace, il apparaît bien comme l’ange redoutable, tranquille et sûr de la Vengeance !

À côté de lui, un démon s’agite, souffle surs a haine, attise la flamme qui dévore le cœur de R. C. :

— Jure ! fait Macallan. Jure et souviens-toi !

Les lèvres muettes de R. C. doivent prononcer un terrible serment, un serment qu’elles n’osent même pas confier aux morts, car elles remuent sans qu’on les entende…

Macallan lui-même, le gnome Macallan, n’entend pas. Et il veut entendre.

— Plus haut ! implore le gnome, dont toute la physionomie est étrange à voir en ce moment.

Ah ! ce n’est plus là une tête à farce, à blague, à clownerie grotesque. Cette tête-là ne se moque plus de rien ni de personne. Elle rayonne aussi de fureur, comme si le feu qui sort des yeux de R. C. l’avait embrasée… Mais quel aspect ! Quel aspect surprenant a cette tête-là… La fureur qui l’anime semble faite à la fois de joie et de colère… Oui, c’est de la fureur joyeuse… En vérité, à le regarder de bien près, M. Macallan tressaille de joie furibonde…

— Jure !… Jure ! Que je t’entende !… Dis, dis seulement « Je jure ! »

Et le gnome tend l’oreille, et il entend le Roi des Catacombes qui dit :

— Je jure !

Alors, Macallan se frotte les mains à s’en arracher l’épiderme, fait un petit salut bref à R. C., du bout de son bâton, accomplit un rapide demi-tour, et, sans plus s’occuper de R. C. que s’il n’existait pas, se dirige vers la porte du cimetière. Il n’est pas plutôt sorti du champ des morts qu’il ne se retient pas de traduire pour lui tout seul l’extraordinaire et fantastique allégresse furieuse de son âme par le mouvement désordonné de son corps. De son gros et court bâton, il tambourine le sol durci, et puis ses genoux se déclanchent et le revoilà parti pour une gigue insensée qui le conduit à nouveau sur le seuil de la mère Fidèle.

Là, il cesse sa danse à la vue d’un personnage qui semble l’attendre, debout sur les marches de l’Auberge du Bagne.