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littéralement l’une des barres de fer sous l’effort insensé de son poignet irrésistible. Jamais on n’eût pu croire que cette main délicate de femme était susceptible de déployer cette force de Titan.

Et il se retourna.

Sa figure, si pâle à l’ordinaire, était alors plus blanche que la neige qui ensevelissait le cimetière. Il s’avança d’un pas menaçant vers Macallan.

Mais Macallan avait déjà tourné le dos à R. C. et était retourné à la porte, où un homme, coiffé d’un képi, l’attendait. C’était le gardien du cimetière. Il lui dit quelques mots et passa.

R. C. suivait. L’homme au képi referma la porte.

Macallan tourna tout de suite à droite, passa entre une double rangée de tombes abandonnées, remonta un peu la pente du terrain et arriva ainsi vers ce coin de cimetière qui touche au mur et qui, encore aujourd’hui, semble ne point avoir abrité de morts, puisque la terre, où pousse une herbe rare l’été, où s’étend uniformément le givre l’hiver, n’exhibe là ni croix, ni couronne, ni fleurs artificielles. C’est dans ce coin, pourtant, que furent enterrés momentanément, lors de la Commune, les cadavres des généraux Lecomte et Clément-Thomas, que l’on avait traînés jusque-là après la fusillade du petit jardin de la rue des Rosiers.

Que venait faire dans cette partie désertée même des morts du cimetière Saint-Vincent, le gnome Macallan suivi comme une ombre par R. C. ?

Arrivé au haut du monticule, Macallan se tourna vers R. C. et, lui montrant l’angle du mur, lui dit :

— C’est là !…

R. C. s’approcha, vit qu’on avait tracé, au goudron, une croix sur le mur. Il tomba à genoux.

La douleur de R. C., profonde comme le silence, muette comme la tombe, discrète comme la mort, le courbait, immobile, sur cette terre sur laquelle l’être le plus pieux eût marché sans que rien fût venu l’avertir qu’il commettait un sacrilège… Rien, pas même ce renflement du sol qui dénonce au regard le plus distrait qu’on a enfoui quelque chose… ou quelqu’un… rien ne pouvait faire soupçonner qu’il y eût là une dépouille sacrée capable un jour de faire plier les genoux à quelque mystérieux passant.

R. C. ne se relevait point… Les minutes s’écoulaient dans le silence de toutes ces choses mortes et dans la douceur glacée de la neige qui pleurait sur le cimetière toutes ses larmes blanches… R. C. ne soupirait point, ne gémissait point, ne pleurait point, ne priait point, mais quand enfin ses épaules se redressèrent et que sa tête nue, que son front dans la pâle lumière du jour, réapparurent à Macallan, celui-ci ne put