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PREMIÈRE PARTIE

LA PUISSANCE DES TÉNÈBRES

I

QUELQUE CHOSE BRILLE DANS LA NUIT

Est-il rien de plus morne, de plus angoissant, de plus triste, de plus désespéré que ce coin de Paris qui entoure la place de la Roquette ? C’est en vain que sur l’emplacement de la vieille prison, récemment démolie, on s’est empressé d’élever de vastes maisons de rapport, l’aspect général reste lugubre, grâce à cette autre prison de l’autre côté de la place, où l’on a enfermé l’enfance : Prison des jeunes détenus !

À l’époque qui nous occupe, la Grande-Roquette élevait depuis de nombreuses années déjà ses murs nus en face de la Petite. Quand, parfois, la porte de la Petite s’entrouvrait pour laisser sortir quelque adolescent, tout pâle encore d’avoir enseveli là quelques mois précieux de sa jeunesse, la première chose qu’il voyait était la porte de la Grande, sinistre comme si on l’eût dressée sur le seuil de son propre avenir.

L’une et l’autre n’étaient séparées que par quelques pierres, piédestal de l’échafaud. Si le jeune homme détournait les yeux de ce sombre spectacle et si son regard montait vers la gauche, il apercevait une autre porte, la porte d’un cimetière : le Père-Lachaise. Alors il fuyait à droite et descendait hâtivement vers la vie, vers la liberté, vers Paris, par cette partie de la rue de la Roquette qui rejoint la place Voltaire, que l’on appelait alors la place du Prince-Eugène.

C’est précisément à cet endroit que nous allons transporter le lecteur, par une nuit de décembre 186…, exactement le 13 à quatre heures du matin.

Cette voie, si lugubre le jour avec ses maisons basses badigeonnées de rouge sang de bœuf ou de jaune sale, de couleurs ternes et passées, ses boutiques noires où l’enseigne indique en lettres blanches la