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un martyr à la mort. Et il trouva, les jours suivants, le moyen d’apaiser l’angoisse de Desjardies, moins par des considérations sur la vie future que par la promesse qu’il lui fit de s’occuper de sa fille. Et c’est cet homme, en qui il avait mis sa foi dernière, que la mystérieuse inscription lui conseillait d’éloigner !

Qu’allait-il faire ? Devait-il croire réellement à une tentative d’évasion ? Non, c’était impossible ! Aussi, s’il y avait cru, comment s’y serait-il pris pour dire à cet homme, son dernier ami ici-bas et son suprême espoir après sa mort : « Allez-vous-en !… Je ne veux plus vous voir ! » ?

Comme il en était là de ses prières et de ses réflexions, Desjardies entendit du bruit à la porte de sa cellule ; celle-ci s’ouvrit et il vit que le gardien-chef s’effaçait pour laisser passer un personnage. C’était le prêtre… c’était le père Saint-François. Les gardiens suspendirent leur partie de cartes et se levèrent. Desjardies était déjà debout : il allait au père Saint-François qui lui tendait les deux mains et l’attirait sur sa rude poitrine.

Le moine embrassa le condamné et ils se mirent à pleurer tous les deux. Le gardien-chef haussa les épaules, prenant en pitié l’émotion du prêtre, une émotion de novice à ses yeux expérimentés, puis il referma la porte à clef et l’on entendit son pas qui s’éloignait dans la solitude.

Les deux gardiens s’étaient retirés discrètement dans un coin de la cellule. Desjardies, la tête sur la poitrine du prêtre, lui faisait la même question qu’il lui adressait tous les jours, à la même heure.

— Est-ce pour aujourd’hui ?

Et le père Saint-François faisait la même réponse.

— Nous n’en savons rien, mon fils… nous ne pouvons rien en savoir…

Et immédiatement, il le faisait se rasseoir, comme tous les jours, sur la couchette : il prenait une chaise et s’asseyait à son tour, en face de lui, et gardant les mains de l’homme dans les siennes, il le faisait parler de sa fille !…

Desjardies admirait sa fille comme un père et l’aimait comme une mère… Oui, elle avait été sa vie, et c’était très beau à ce prêtre qui avait reçu mission de Dieu et des hommes d’entretenir ce malheureux de sa mort prochaine, de consacrer au contraire ces heures suprêmes à l’entretenir des joies de sa vie passée !…

Tout à coup, il sembla que l’esprit de Desjardies était traversé par une pensée subite ; il fit un brusque mouvement et sa main alla chercher, dans sa poche, la photographie…

— Tenez, mon père, dit-il en tenant l’image, permettez-moi de vous laisser un souvenir de ma reconnaissance… ce portrait qui est l’objet le plus cher qui me reste ici-bas… Gardez-le, en souvenir de moi !…

Mais le moine repoussait la photographie.