Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est vrai ! finit-il par répondre. C’est vrai !… Je suis plus fort que la mort !… Je suis la Vie !…

Sinnamari n’avait pas même tressailli sous ce regard si grave, si grave, qui le fouillait. Il haussa les épaules :

— Mais faites donc comprendre à ces dames, monsieur, que ceci n’est qu’une pauvre plaisanterie… On ne plaisante pas avec l’échafaud. Vous êtes le premier qui osiez en rire devant moi, monsieur !… Puissiez-vous ne vous en repentir jamais !

Et Sinnamari s’avança à son tour jusqu’à la fenêtre. Son geste, lui aussi, montrait la terrible machine.

— Voyez-la, dit-il, elle est prête… Elle l’attend ! Rien ne peut le sauver d’elle. Regardez cette place, ces soldats, ces gendarmes, ce couteau debout sur le seuil de la prison… Dans une heure, quand les premiers rayons du jour viendront éclairer ces deux bras rouges, ces deux bras vengeurs de la société, ces bras de la justice, monsieur, Desjardies aura payé de sa tête la dette qu’il a contractée envers les hommes et envers Dieu !

— Dans une heure, répliqua R. C., dans une heure, la tête de Desjardies sera encore sur ses épaules… Et elle ne tombera que lorsque je le voudrai !

Devant cette phrase formidable, il y eut une rumeur… Le pouvoir que s’arrogeait cet homme extraordinaire de faire tomber une tête à l’heure de sa justice à lui dépassait tout ce que la plus folle imagination, nourrie des contes authentiques du banditisme d’autrefois, pouvait inventer.

Ah ! il y a eu les Fanandels, il y a eu les Chauffeurs, il y a eu Cartouche, maître de Paris, et Mandrin, maître de la province, des chefs admirables de cruauté et d’héroïsme, commandant de véritables armées, ayant dans l’État mille complices — ceci est historique — prenant d’assaut des villes et faisant la police des campagnes… De nos jours, il y a eu des bandes puissantes qui ont terrorisé des départements entiers, et, dans le Nord, une société, avec son organisation et ses chefs, qui était la véritable maîtresse de la frontière. Il y a eu des ligues politiques assez colossales pour être un État dans l’État et pour mettre en balance à un moment donné la fortune de la troisième République.

Oui, dans l’ombre ou dans la lumière, dans le mystère des vagues carrefours où s’élabore le crime ou dans l’éclat et le retentissement de la place publique où surgit la révolte, il y a eu des événements d’une audace surhumaine, conduits par des êtres qui, momentanément, s’étaient mis au-dessus de tout, et dont l’orgueilleuse volonté, l’outrecuidance splendide prétendaient se substituer à la loi, mais jamais un de ces surhommes n’osa dire tranquillement, au commencement d’un souper, à l’un des premiers magistrats du pays, en lui montrant par la fenêtre la silhouette de l’échafaud : « Votre échafaud, il est à moi !… »