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Et, se tournant vers ces dames :

— Vous m’excuserez, mesdames, mais je désirerais immédiatement tirer au clair cette déplorable histoire… Vous avez là le grand-livre ? reprit-il en s’adressant à l’homme qui se tenait à demi incliné, dans une pose pleine de respectueuse attente. Il est au net ? À quelle heure avez-vous transcrit le dernier rapport ?

— À l’instant, maître V. sort d’ici. Toutes les demi-heures, il doit venir rédiger un nouveau rapport sur l’affaire Desjardies et c’est moi-même qui transcris sur le grand-livre tout ce qui concerne personnellement les débiteurs.

— Bien. Lisez-moi le rapport Régine.

Le petit vieil homme glissa son doigt le long des pages du livre en disant entre ses dents :

— R… R… R… Ra… Ra… Ré… Régine… Régine, voilà… Faut-il tout lire ? demanda le chef du contentieux.

— Mais non ! seulement le dernier rapport Régine, répliqua R. C. sans impatience.

L’homme sauta cinq, six, sept grandes pages, ce qui prouvait aux yeux des moins observateurs que les rapports ne manquaient point sur le chef du cabinet du ministre de la guerre ; c’était si manifeste que tous les convives éclatèrent encore de rire, à l’exception toujours de Régine, qui se demandait s’il était réellement éveillé, s’il n’était point la proie de quelque cocasse et effroyable cauchemar… Que pouvait bien signifier ce chef du contentieux, ce grand-livre, où, lui, Régine, figurait comme débiteur ?

L’homme lut :

« Hier soir, j’ai commandé pour cette nuit, à minuit et demi, quatre hommes du deuxième peloton de la première compagnie des chasseurs noirs. Consigne donnée : enlever Régine à sa sortie du Théâtre-Français où il se rendra ce soir avec Mme Régine, soirée d’abonnement. Ne pas inquiéter Mme Régine, qui ne devra s’apercevoir de rien. Ramener Régine en voiture ; l’amener à quatre heures et demie au salon Pompadour. Les quatre hommes, après avoir consulté le dossier Régine chez l’archiviste, ont pris leurs dispositions et la consigne a été strictement exécutée. — N. B. Nécessité d’agir par la force avec Régine, qui ne serait jamais venu de son plein gré au salon Pompadour ; voir à ce propos le dossier, cote 125. »

Le chef du contentieux, ayant lu, se tut.

— C’est bien, monsieur, fit R. C.

Et le petit vieux s’en alla. R. C., tourné vers Régine, dit :

— Mon cher hôte, encore une fois, agréez toutes mes excuses ; je suis persuadé que mes gens ont eu tort ; je vous promets d’examiner dès demain la cote 125 de votre dossier, et, s’il ne m’est pas absolument démontré que, pour avoir le bonheur de vous posséder ici, il fallait