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Seul, Sinnamari était resté debout, le sourcil mauvais, les yeux fixes, poursuivant de son regard de flammes l’audacieux qui osait jouer un pareil jeu devant lui, le procureur impérial.

— Monsieur le procureur impérial, ayez donc la bonté de vous asseoir, là, en face de moi !… pria le jeune homme.

— Monsieur !… commença Sinnamari.

— Monsieur, je ne vous écouterai que lorsque vous m’aurez fait l’honneur de vous asseoir à ma table…

Sinnamari fit, glacial :

— Mon devoir, monsieur, est de vous faire arrêter sur-le-champ.

— Au dessert, mon cher procureur, au dessert !… Chaque chose en son temps, répliqua R. C. en éclatant de rire. Que diable ! On n’est pas magistrat tout le temps ! Nous causerons d’affaires sérieuses au dessert ! Maintenant, il faut manger, il faut boire, il faut rire ! Nous pleurerons au dessert, je vous le promets.

Et il ajouta sur un tel ton de noblesse, de politesse raffinée que les deux femmes ne purent retenir un murmure d’admiration :

— Monsieur le procureur impérial, ce sont ces dames qui vous en prient.

Sinnamari, toujours debout derrière sa chaise, avait eu un mouvement d’hésitation. Maintenant, Marcelle Férand, Raoul Gosselin, Wat, Eustache Grimm suppliaient le procureur de s’asseoir. Quant à la Mouna, elle n’avait pas la force de parler.

— Auriez-vous peur, monsieur le procureur impérial ? demanda R. C. railleur. En ce cas, je vais donner l’ordre qu’on vous reconduise au milieu de vos agents.

Et R. C. avança la main sur un timbre que l’on avait mis à sa portée.

Sinnamari rougit jusqu’à la racine des cheveux.

— Je n’ai peur de rien, monsieur ! Pas même de souper avec vous… Mais je vous préviens que je vous fais arrêter au dessert !

Et il s’assit.

— Encore ! reprit R. C. en riant de tout son cœur. Encore !… Oubliez donc pour un instant, monsieur le procureur impérial, ces vilaines préoccupations policières… elles sont tout au plus dignes d’un Dixmer… Ce pauvre Dixmer !… Vous avez vu dans quel état il était, mesdames !… J’espère qu’il n’a pas réussi à vous effrayer ?

— Oh ! Pas du tout ! s’exclama joyeusement Marcelle Férand. Moi, je suis tout à fait enchantée… j’adore les brigands…

— Et vous, mademoiselle, aimez-vous les brigands ? demanda R. C. à sa voisine de gauche.

Celle-ci répondit :

— Moi, monsieur, je suis la Mouna.

— Mes compliments ! répliqua R. C.

On rit. Le notaire lui-même rit, le greffier lui-même rit, Sinnamari