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La presse, chose curieuse et sans précédent, n’avait pas été prévenue ; cependant, on procédait au montage de la guillotine vers quatre heures et demie du matin. Dès les premiers rayons de l’aube, le bourreau et ses aides démontaient la sanglante machine sans avoir exécuté personne. Les ordres relatifs à l’exécution avaient-ils été mal donnés ou mal compris ? L’empereur, après avoir rejeté la grâce de Desjardies, l’aurait-il accordée tout à coup et se serait-il, contrairement à tous les usages, entremis pour arrêter le cours suprême de la justice ? Il ne faut pas oublier que Desjardies est la première victime du scandale des chemins de fer ottomans, et, malgré son abominable assassinat, n’est peut-être point le plus coupable. Il y en a d’autres qui ont tué ; cela ne fait point de doute… d’autres que la justice impériale ne découvrira jamais… et qui garderont leur tête sur leurs épaules. En haut lieu, aurait-on eu quelque tardif remords au moment de sacrifier l’une des personnalités en somme les moins compromises dans ce prodigieux tripotage financier ?

» En somme, on ne sait que penser, ni même qu’inventer devant ce fait indéniable : le bourreau qui vient et qui s’en retourne comme il est venu, les mains dans les poches et le panier vide ! Le moins bizarre de l’histoire n’est point la découverte que l’on a faite de deux lettres cabalistiques peintes en rouge sur la grande porte de la prison : R. C. Que signifient ces initiales ? Qui nous le dira ?

» Personne ! Car personne n’a le temps de s’occuper d’autre chose que de la tragi-comédie que l’on est en train de nous monter dans les coulisses du Palais-Bourbon ! »

Très intéressé par ces lignes étranges, je me mis à rechercher dans les autres journaux, à la même date, une trace quelconque d’un événement aussi extraordinaire. Je ne trouvai rien ; mais, à la date du lendemain, je découvris une note de l’agence officielle reproduite par toute la presse : « L’Époque a publié hier un filet relatif à l’exécution de Desjardies. Nous sommes autorisés à lui donner le plus formel démenti. L’exécuteur des hautes œuvres n’a pas eu à se déranger et les bois de justice n’ont pas bougé du hangar où ils sont remisés. On pourrait trouver l’origine d’une aussi invraisemblable histoire dans l’erreur commise par un officier de la préfecture de police qui, ayant compris que l’exécution devait avoir lieu cette nuit-là, a mis inutilement en branle tout le service d’ordre. »

Le même jour, L’Époque faisait amende honorable : « Nous avons été trompés hier par un de nos jeunes rédacteurs dont nous nous sommes, du reste, immédiatement séparés. Un haut fonctionnaire de la préfecture est venu nous donner toutes les explications désirables relatives à l’erreur qui a mis en mouvement tout le service d’ordre ordinaire des exécutions »

Il arriva que la note de l’agence officielle et la rectification de