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laisser paraître le frisson de fièvre qui l’agite, il regarde l’image… Est-ce bien l’image qu’il regarde… Mais non… c’est le dos de la photographie que fixent en ce moment ses yeux fous. Il ne regarde pas le portrait… Il lit… des mots… au crayon… Quels mots !

« Espérez !… On veille sur vous… on vous sauvera… mais ne vous étonnez de rien, quoi qu’il arrive, et surtout refusez d’être accompagné par le prêtre »…

Mots étranges !… Mots impossibles !

« Espérez ! On veille sur vous ! »…

Desjardies, ayant replacé la photographie dans la poche de son veston, répétait ces mots comme quelqu’un qui, en ayant depuis longtemps perdu le sens, se serait efforcé d’en retrouver la signification…

Se pouvait-il, en vérité, que le mot « espoir » eût encore affaire avec lui, Desjardies, au pied de l’échafaud ?

Espérer ! Mais il savait qu’il ne pouvait même pas espérer dans sa grâce ! Il savait que son pourvoi serait rejeté ! Et l’on voulait qu’il espérât !…

Et que voulaient dire ces autres mots plus mystérieux encore : « On veille sur vous ! » Ce on lui apparaissait comme une Providence dérisoire.

N’était-il pas abandonné de tous, excepté de sa fille, qui ne pouvait rien hélas pour le sauver ?… D’où lui venait ce on ? Et que pouvait faire ce on entre le bourreau et lui ? Et puis, pourquoi, dans ces heures sinistres, lui recommandait-on de se priver des suprêmes consolations du prêtre ?

Et puis, comment ces mots étaient-ils venus s’inscrire sur cette carte ? Depuis quand y étaient-ils ?

Il ferma les yeux pour réfléchir, et aussi pour qu’on ne vît pas qu’il y avait en eux une lueur nouvelle. Il dompta l’émotion qui lui chauffait le cœur, il commanda à ses mouvements, il se laissa aller négligemment contre le mur, croisa les bras et, dans la nuit de ses paupières closes, attendit de comprendre… Il se disait :

« Voyons, avant de sortir dans la cour pour la promenade, ces mots étaient-ils déjà sur la carte ?… Ai-je regardé le dos de la carte ?… Il me semble en effet que j’ai vu le dos de la carte… J’ai à chaque instant cette chère image dans la main… Je la tourne, je la retourne… je la caresse… j’aurais eu certainement l’occasion d’apercevoir ces signes… Est-ce bien sûr ?… Et puis, qui m’approche assez pour avoir pu, sans que je m’en sois aperçu, sans éveiller l’attention de personne, prendre cette carte dans ma poche, écrire, remettre la carte ?… Un gardien… il n’y a qu’un gardien qui a pu faire cela !… Lequel ?… »

Desjardies ouvrit les yeux. Les deux gardiens jouaient au piquet et ne le regardaient pas.