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On pourrait le penser en entendant le râle qui gonfle sa poitrine quand il se lève de son grabat, en voyant de quel geste rapide et passionné il porte à ses lèvres une image que les geôliers lui ont laissée…

C’est l’heure de la promenade… Il glisse la chère image dans sa poche… Il suit les hommes qui l’attendent… Il est maintenant dans le vestibule.

Des portes que l’on ferme, d’autres que l’on ouvre… Un bruit de clefs, toujours, des verrous… Il se promène, encadré de ces quatre hommes qui le frôlent, qui continuent dehors la prison du dedans… Prison de chair, prison qui se promène avec lui…

Le voilà dans la petite cour du quartier des condamnés à mort… une petite cour carrée, la cour de la Bibliothèque.

Il y a là quelques mètres cubes d’air, assez pour ceux qui vont mourir, mais insuffisants à faire vivre ce tronc de marronnier et ces arbrisseaux qui, même au printemps, n’ont ni fleurs ni parfum… mais on dit au prisonnier : ce sont des lilas… Des lilas… Le mot seul en a déjà l’exquise odeur et évoque le printemps passé à la mémoire du malheureux qui n’en verra jamais plus…

Une galerie voûtée fait le tour de la cour, à la manière des cloîtres… C’est là-dessous que le prisonnier fait sonner ses lourdes galoches, quelque temps qu’il fasse, pendant une demi-heure.

La demi-heure est écoulée. Retour à la cellule. Voilà de nouveau Desjardies renfermé avec ses deux gardiens. Ceux-ci ne lui demandent point s’il veut faire une partie de cartes… Ils savent qu’il ne joue pas, qu’il ne s’intéresse à rien, à rien qu’à cette image qu’il a là, dans la poche extérieure de son paletot et qu’il va reprendre, pour la regarder, encore, encore…

Ah !… ce n’est pas un condamné amusant. Il y en a qui sont divertissants… qui trichent… qui connaissent des tours de cartes… qui racontent des histoires terribles, qui se vantent et qui, lorsqu’ils doivent mourir sur l’échafaud, ont cet orgueil devant leur geôlier de l’avoir mérité dix fois…

Il y en a qui se lamentent, qui ont des regrets, qui voudraient bien avoir le temps de devenir honnête homme ! Mais celui-là reste tout le temps muet, en face du portrait de sa fille…

— Tiens ! fait l’un des gardiens à son camarade en battant le paquet de cartes crasseuses… Tiens ! Regarde-le, le voilà encore avec sa photographie !

De fait, Desjardies s’est approché de la lanterne incrustée dans le mur où brûle, derrière un grillage, un pauvre lumignon, et il a ressorti le portrait. Il tourne le dos à ses gardiens et ceux-ci ne peuvent plus voir la stupéfaction inouïe qui se peint sur les traits du malheureux.

Les yeux agrandis, les doigts tremblants, se maîtrisant pour ne pas